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bulent prélat. Nous avons remarqué là une tendance fâcheuse, celle d’amoindrir à tout prix ce personnage si original des beaux temps de la fronde. L’auteur explique fort spirituellement quel a dû être le mobile instinctif de cet agitateur populaire qu’il accuse d’avoir exagéré à plaisir sa propre importance et de présenter les évènemens sous un aspect tout personnel. Toutefois, si l’on peut reprocher au cardinal de Retz d’avoir altéré quelques détails, confondu certains incidens, transposé un assez grand nombre de dates : erreurs excusables, à tout prendre, chez un écrivain qui raconte de souvenir des faits déjà fort éloignés ; s’il est permis d’ajouter qu’il a complaisamment agrandi sa figure historique dans le miroir trompeur de ses réminiscences, et que les chroniqueurs de l’époque ont souvent contredit ses assertions, il est juste aussi de reconnaître qu’il devint l’homme le plus influent de son parti, que nul ne sut mieux faire mouvoir les ressorts de l’opposition parlementaire, que personne ne posséda à un plus haut degré l’art de diriger les mouvemens excentriques de la bourgeoisie ameutée. Il tint tête à Mazarin, il disputa le pavé au vainqueur de Rocroy et de Lens. Lorsqu’il s’agit de l’arrestation des princes, après la guerre de Paris, ce fut avec lui que s’entendirent mystérieusement Anne d’Autriche et son ministre, auxquels il imposa les conditions du marché. Après le dénouement de la révolte, le gouvernement lui fit l’honneur de le considérer comme le plus redoutable de ses ennemis, et Louis XIV jura de ne jamais lui permettre le retour dans son archevêché. C’était une intelligence vive et nette qui, venue au monde en des circonstances plus heureuses, eût peut-être fait de grandes choses, et plus régulièrement immortalisé son nom. Certes nous sommes loin d’approuver l’abus qu’il fit de ses brillantes facultés, mais un tel homme méritait mieux qu’une froide et persévérante ironie.

Le portrait du prince de Condé, qui domine tout le second volume de l’Histoire de France sous le ministère du cardinal Mazarin, est sans contredit le meilleur et le plus vrai qu’ait tracé la plume de M. Bazin ; disons mieux, il est à peu près le seul dans lequel se retrouvent cette délicatesse d’observation et cette sûreté de coup d’œil dont il nous a fourni d’irrécusables preuves dans le récit des faits. La sévérité en est extrême et méritée. Condé, dont les prôneurs du grand siècle ont, avec leurs hyperboliques louanges, dénaturé la véritable physionomie, résumait à lui seul tous les travers d’esprit, tous les vices de cœur, toute l’incurie des devoirs sociaux qui caractérisèrent les premières années du règne nominal de Louis XIV. Il faut entendre s’exprimer sur le compte de ce prince, non pas ses adversaires, mais ses partisans, ses amis, ses familiers même, à l’exception de Lenet, le comte Jean de Coligny surtout, qui fut son compagnon fidèle et son confident pendant de longues années : « Je ne reprends jamais la plume, dit-il dans ses courts mémoires (écrits sur les marges d’un missel et peu connus, bien qu’ils aient été deux fois imprimés), que ma première pensée ne soit de dire pis que pendre de M. le prince de Condé, duquel, à la vérité je n’en saurais jamais assez dire. Je l’ai observé soigneusement durant treize