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les turbulentes invasions des jeunes membres des enquêtes. C’est son livre à la main qu’il est aisé de suivre la cour souveraine au milieu du vaste arsenal de ses traditions, dans les plus intimes replis de ses formes procédurières, à travers cette forêt touffue de chicanes, de précédens, de fins de non-recevoir, dont le gouvernement ne pouvait jamais se démêler sans une déchirure au manteau royal. Il a esquissé de main de maître tous les traits généraux de cette institution si imposante de loin et parfois si mesquine de près ; il a pris à tâche de nous initier au secret de ses lenteurs calculées, à l’astuce de ses résolutions, à l’habileté de sa marche ascendante, de nous expliquer la savante combinaison de ses allures, l’immensité de ses moyens d’action, ses désirs mal contenus d’empiètement, ses antiques usages, son respect pour les arrêts antérieurement portés, ses flatteries envers le pauvre peuple, tout le bagage sans fin de ses artifices judiciaires et de ses audacieuses prétentions. Il nous a dit comment, lorsque l’enfant-roi venait en personne lui imposer ses volontés, la compagnie faisait d’abord mine de se soumettre, car elle n’avait plus le droit de résister ; puis, une fois le prince sorti du palais, c’étaient des considérations interminables, des observations sans nombre, des récriminations verbeuses, des remontrances qui n’en finissaient pas. Si la régente se fâchait, et l’on était tout préparé à cet inévitable courroux, on se défendait humblement du soupçon d’avoir voulu braver l’autorité royale, sans cependant faire plus de besogne. Les chambres demeuraient assemblées ; la justice était suspendue, au grand détriment des plaideurs, et les volontés impatientes du dénouement allaient se briser contre cette force d’inertie qui engendrait la lassitude, et qui devait à la longue amener des transactions.

Des peintures collectives aux esquisses individuelles la transition est facile pour la critique ; elle a été moins heureuse pour l’historien. Aux yeux de M. Bazin, il n’y a pas de héros dans la fronde, quelle que soit la valeur personnelle de Paul de Gondi, du duc de Beaufort, du président Molé, du prince de Condé, du duc d’Orléans, de la duchesse de Longueville. À tout prendre, s’il lui fallait des demi-dieux, il pencherait avec raison, selon nous, pour la reine Anne d’Autriche, qui sut garder, pendant toute la durée des troubles, une dignité inaltérable, tout en laissant désirer un peu plus de ténacité, et pour le cardinal Mazarin, homme d’état éminent au sein de ses inconcevables faiblesses, qui, en dépit de son titre d’étranger et des injures si longtemps prodiguées à son nom, eut l’ame plus française et le cœur mieux placé que tous ses ennemis. Toutefois, bien que l’auteur laisse de temps à autre percer, à travers le scepticisme de sa narration, le mystère de ses sympathies, on pourrait remarquer que la reine Anne et son favori jouent un assez triste rôle dans cette histoire de la minorité de Louis XIV. Valait-il la peine, ce prélat italien dont l’administration souleva tant d’orages, d’être emprunté à l’étranger, d’être imposé par Richelieu, et de recueillir son héritage ? Ce qu’il y a de certain, c’est que ce ministre, si sage, si persévérant, si bien inspiré dans ses vues diplomatiques, laissa dépérir à l’intérieur le dogme de l’absolutisme, si énergiquement appliqué par son prédécesseur et qui, à beau-