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son rôle de tribun. M. Bazin, qui n’avait pas vu le péril, a merveilleusement apprécié le remède ; il a indiqué avec une extrême sûreté de coup-dœil et une rare sagacité les plus insaisissables nuances et les plus obscures variations de tout cet assemblage d’intérêts hétérogènes. Il y a, dans cette partie de son livre, des scènes d’une vérité frappante et d’un comique achevé ; la critique naît pour ainsi dire d’elle-même sous les malignes inspirations de sa verve descriptive, et c’est à peine s’il serait besoin, à la suite de cet intelligent récit, de jeter un regard sur les quelques pages de réflexions sévères où il a groupé en faisceau et peut-être exagéré les nombreux griefs de l’histoire contre cet épisode de la fronde.

M. Bazin, si peu troublé des menaçantes possibilités que renfermait la guerre de Paris, n’accorde pas plus de valeur à la défection du prince de Condé. À ses yeux, le vainqueur de Rocroy et de Lens n’apporte dans la lutte aucun élément nouveau ; ce n’est guère qu’un nom et une épée de plus au milieu de tant de noms glorieux et d’illustres épées. Pourquoi quitterait-il, à son sujet, cet air sceptique et railleur qui récuse les élans passionnés et n’admet pas la colère ? Condé est-il autre chose qu’un enfant malicieux, goguenard et mutin, qui s’amuse à tourmenter le cardinal, dont le hasard des évènemens a fait son roué et presque son esclave ? L’exagération de ses fantaisies cache-t-elle un but, un dessein, une volonté fixe et résolue, ou n’est-elle pas plutôt l’effet d’une pétulance qui manque d’emploi ? Rien n’est changé quant à l’aspect général des moyens publics ou secrets de la querelle. Les intrigues sans nombre dont elle est traversée présentent toujours la même confusion de personnages, la même multiplicité de prétentions, la même petitesse de vues individuelles. Soudains abandons, brusques retours, péripéties inattendues, tout s’y produit à mesure, excepté le remords, qui n’est jamais le bienvenu dans les mouvemens politiques ; et, au sein de ce curieux enchevêtrement d’agitations en sens divers, il n’apparaît pas une idée qui ait chance de vie, pas un fait sur lequel on puisse s’appesantir, car le fameux combat du faubourg Saint-Antoine n’est qu’un sanglant tournoi dont les redites historiques ont depuis long-temps épuisé tout l’intérêt ; le massacre de l’Hôtel-de-Ville qui a suivi cette journée, n’est qu’un hors-d’œuvre odieux ; la nomination du duc d’Orléans en qualité de lieutenant-général du royaume, avec l’investiture de tous les pouvoirs, n’est qu’une insignifiante contrefaçon des tentatives de Guise le Balafré. — Tels sont les enseignemens contenus dans cette partie du récit, et là encore M. Bazin nous semble avoir obéi aux inspirations d’une sécurité trop dédaigneuse et trop absolue. La mêlée de la Porte-Saint-Antoine, qu’il a racontée avec une brièveté calculée et peu permise dans un ouvrage de si longue haleine, où sont venus plus d’une fois s’étaler, avec de vastes développemens, des incidens moins dignes de l’attention du lecteur, la mêlée de la Porte-Saint-Antoine, disons-nous, n’était rien moins que la dernière bataille livrée à la royauté par l’aristocratie ; les meurtres de l’Hôtel-de-Ville accusaient un triste ressouvenir des excès démocratiques de la ligue et une déplorable tendance à l’imitation. L’élé-