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DU MOUVEMEMENT CATHOLIQUE.

L’auteur des Études sur les idées et leur union au sein du catholicisme a développé une théorie nouvelle qui résume merveilleusement les bizarreries dispersées dans les livres des visionnaires modernes. Pour nous plonger dans l’éternelle lumière, dans l’invisible et l’inconnu, nous n’avons plus à attendre les révélations de la mort ; il nous suffit de recourir au sens mystérieux de la religiosité ou superstition ; ce sens se manifeste par un effroi surnaturel, un frisson qui nous prend quand nous touchons un mort, quand nous marchons dans les ténèbres. Il est en vous, en moi, comme il était dans Socrate et dans Napoléon. Par la superstition, on s’élève à la claire notion de Dieu, on voit l’incorporel, on touche l’intangible. Il suffit de vouloir et d’observer la continence ; quand on le veut, on monte tous les degrés de la spirale infinie qui se perd au ciel ; si parfois le pied se dérobe dans cette lointaine ascension, le magnétisme, qui est devenu l’auxiliaire néo-catholique de la grace, est là sur le dernier échelon qui nous tend la main, et ce ne sont plus seulement quelques rares élus, quelques hommes amis du maître suprême, qui s’élèvent ainsi, tout vivans, des ombres de la terre aux clartés du tabernacle céleste ; c’est l’humanité tout entière, l’humanité, ce navire qui court des bordées entre le fini et l’infini, qui va sombrer en Dieu. Il y a mariage, comme le dit M. l’abbé de La Treyche, entre la créature et son auteur, et ce mariage, ainsi que les tristes unions de ce bas monde, a ses réjouissances : « La salle nuptiale est la création tout entière, et l’harmonie des êtres forme le concert. » Ne cherchons donc dans ce mysticisme avorté, qui n’est qu’une sorte de panthéisme humanitaire, ni les élans sincères de la foi, ni la poésie de l’extase, ni la grandeur du rêve philosophique. Nous sommes aussi loin de Hugues de Saint-Victor que de Boehm ; et pour trouver l’apparence d’une doctrine, quelque chose qui ressemble à la science, il faut, cette fois encore, passer la frontière : nos mystiques sont réduits à emprunter Goerres à l’Allemagne, à lui demander des théories, des argumens, des idées.

Si vive que soit la ferveur, on s’éblouit vite cependant à courir ainsi à travers les sphères lumineuses. Les modernes Élisées redescendent volontiers du Créateur à la créature, des splendeurs de l’éternelle beauté à la contemplation de la beauté périssable. Auprès du mysticisme de l’esprit, nous rencontrons le mysticisme du cœur et comme toutes les excentricités se touchent, tandis que les réformateurs sensualistes travaillent à la désubalternisation de la femme, les néo-catholiques travaillent à son assomption, pour la préparer à l’apostolat de l’hymen. Au lieu de se contenter de confesser les filles d’Ève, mission parfois délicate, il y a des abbés qui se sont laissé prendre aux exagérations sentimentales et romantiques des don Juan convertis, et qui, tout en célébrant la Vierge, ont célébré la femme dans un style qui fait sourire les mondains, murmurer les rigoristes, et qui pourrait même faire rêver plus d’une belle chrétienne. Ainsi est-il arrivé à M. l’abbé de La Treyche, auteur du Mystère de la Vierge, qui, au lieu d’un livre de dogme ou de morale, se trouve, de la meilleure foi du monde, n’avoir écrit qu’un