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teau de Louvel. Pour expliquer le meurtre, M. de Robiano ajoute que Louvel, à part les autres motifs et inspirations qui le guidaient, avait une sœur vis-à-vis de laquelle la passion du moribond avait négligé de s’acquitter de ce que les théologiens défendent de promettre, mais qu’ils condamnent toujours à tenir[1]. En d’autres termes, la sœur de Louvel avait vendu une nuit au prince, et le prince tomba sous le poignard du frère pour ne pas avoir soldé la nuit. Voilà, dans les livres de M. de Robiano, la part des morts ; quant aux vivans, ils sont traités de telle sorte, que tenter de les justifier contre l’historien, ce serait les calomnier encore. Grace à la protection de quelques membres du clergé et aux annonces de la presse religieuse, on assure cependant que ce livre s’est vendu à six mille exemplaires.

Que conclure, en dernier résultat, des travaux que nous venons de passer en revue ? La critique sacrée, la science, l’histoire, ont-elles des lumières nouvelles à espérer de l’école ultra-catholique ? Cette école a perdu, dans la critique ecclésiastique, les bonnes traditions de la science du passé. Pour les questions scientifiques, elle a rétréci ses horizons en s’enfermant dans la glose, et elle est restée complètement en arrière de la pensée moderne. Dans l’histoire, elle se montre crédule comme les légendaires, emportée comme les ligueurs. Ce qu’elle sait de positif, de vrai, de précis, elle l’a appris de ceux même qu’elle combat. Qu’elle soit donc reconnaissante à l’égard des libres penseurs, puisqu’elle a reçu d’eux l’initiation ; pour avoir le droit d’être sévère, qu’elle s’élève au moins jusqu’à leur niveau. En attendant, qu’elle les respecte comme ses maîtres.

III. — les philosophes. — les utopistes.

C’est parmi les morts que l’école militante de la réaction ultra-catholique compte aujourd’hui ses autorités philosophiques. En effet, quels sont les penseurs contemporains qu’elle peut légitimement revendiquer ? Placé dans les régions solitaires et sereines de la contemplation rêveuse, au-dessus des luttes des partis, M. Ballanche n’a rien à démêler avec elle. M. de Lamennais ne lui appartient plus ; le dogme n’est pas aujourd’hui le point de départ de sa philosophie. M. Buchez est catholique : par ses doctrines métaphysiques, il se rattache en bien des points à M. de Bonald, il l’exagère même ; mais ses sympathies politiques suffiraient seules à le séparer du parti religieux, tel qu’il s’est constitué dans ces derniers temps, et ce parti ne l’accepte qu’avec réserve et sous bénéfice d’inventaire. Nous ne reviendrons point ici sur les morts, si vivement admirés et si diversement jugés, qu’invoque la philosophie ultra-catholique ; la plupart ont été appréciés dans cette Revue même. Nous nous bornerons à examiner rapidement l’état actuel de l’école, si toutefois on peut donner ce nom à un cénacle confus, où chaque écrivain, isolé dans

  1. Tom. IV, pag. 23, en note.