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REVUE. — CHRONIQUE.

approbation générale les actes des hommes investis de la confiance de l’administration.

Telle est la méthode invariable de l’Angleterre. Il n’y a guère plus d’un siècle que le fort William n’était qu’un point isolé sur le vaste continent asiatique : aujourd’hui cette forteresse est le centre d’un empire de soixante millions d’hommes. Ces progrès successifs sont l’œuvre, à bien dire, individuelle des personnages éminens auxquels la Grande-Bretagne a confié le soin de sa fortune dans le monde nouveau vers lequel la portait une glorieuse fatalité. Depuis lord Clives jusqu’à lord Cornwallis, presque tous ont agi sans instructions, et souvent même, dans des circonstances décisives, contrairement aux projets bien connus du gouvernement et du bureau de la compagnie des Indes. Il n’est pourtant pas une conquête qui n’ait été acceptée, pas un progrès de la puissance anglaise dans ces vastes régions qui ait été répudié par le parlement ou le cabinet. Au moment où un vaisseau cinglait peut-être du hâvre de Portsmouth pour porter dans l’Océan Pacifique l’annonce du châtiment (castigation) infligé par le gouvernement français aux chefs d’une division navale, la malle des Indes annonçait à l’Europe que le gouverneur-général venait de s’emparer de Gwalior, et l’Angleterre acceptait sans hésiter ce nouveau triomphe, quelque sanglant qu’en fût le prix. Or, le maharajah qui paie aujourd’hui par la perte de son royaume sa résistance aux ordres de lord Ellenborough était assurément plus fondé dans son droit que ne l’était la reine Pomaré dans ses bizarres et capricieuses prétentions. Le gouverneur-général exigeait péremptoirement que la régence fût confiée à une créature de l’Angleterre, et que les ennemis de cette puissance lui fussent livrés : il réclamait de Scindiah des parties considérables de territoire pour l’amélioration des lignes frontières, le licenciement d’une portion notable de son armée, et même, selon les journaux de Bombay, la remise d’un parc complet d’artillerie créé depuis un demi-siècle.

Ce sont ces étranges prétentions qui ont été consacrées par la double victoire de Gwalior et de Punnaïr ; c’est pour cela que mille Anglais et plus de quatre mille Mahrattes sont morts dans une lutte acharnée. Soit, ne nous plaignons pas de ce succès, et subissons sans mot dire cette nouvelle extension de la puissance britannique. La conquête de l’Asie indienne, telle est l’œuvre, telle est la mission de l’Angleterre. Mais de semblables précédens ne nous donnent-ils donc pas le droit d’appliquer les lois de la guerre et les conséquences nécessaires de tout protectorat, dans les îles sans importance et sans valeur où notre gouvernement est allé placer le pavillon de la France par une initiative toute spontanée, en faisant même une question de cabinet du maintien d’une œuvre à laquelle l’année dernière la chambre hésitait fort à s’associer ? Qui osera dire qu’après le blâme solennel infligé à l’amiral Dupetit-Thouars, nous nous retrouverons à Taïti dans la position déterminée par le traité du 9 septembre ? Qui ne voit que, si nous conservons encore pour quelque temps le protectorat matériel de cet archipel, le protectorat moral est désormais dévolu à l’Angleterre ? Ignore-t-on d’ailleurs que le parti religieux qui a poussé dans cette affaire le cabinet anglais, parfaitement