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grace au mérite incontestable de l’ouvrage, grace surtout au zèle généreux des admirables chanteurs qui l’exécutent, et qui, pénétrés des beautés réelles de cette musique, ont semblé redoubler d’inspiration, de talent et de verve, pour faire partager leur conviction au public. Je le répète, pour sentir les effets d’un opéra nouveau, il faudrait se résigner à prêter quelque attention au drame qui se joue. À l’Académie royale de Musique, on applaudit Duprez et Barroilhet pour une phrase bien dite, pour un mot. Aux Italiens, au contraire, en dehors de la cavatine, les meilleures intentions passent inaperçues. On veut qu’un chanteur soit aussi comédien, et de sa pantomime, de son jeu nul ne lui tient compte. Comment en serait-il autrement, lorsque la plupart des gens qui composent l’auditoire ne se doutent pas de ce qui se dit sur le théâtre ? Au troisième acte de Maria di Rohan, quand Ronconi se livre tout entier au mouvement de sa passion tragique, l’enthousiasme, j’en conviens, emporte la salle, et les bravos éclatent avec frénésie ; mais cet inimitable talent qu’il déploie dans le cours de l’ouvrage, le soin merveilleux qu’il porte dans les moindres détails de son rôle, qui le remarque et l’encourage ? qui comprend dans la salle l’exquise finesse avec laquelle il dit à Chalais, dans le duo du second acte : La tua madre potria udir ? Maintenant, si l’on nous accorde que la jeune école musicale d’Italie tire son existence même de l’expression du sentiment et prétend se passer de tous ces ornemens oiseux, de toutes ces choses de convention desquelles le dilettantisme parisien semble ne pas vouloir encore se départir, on avouera qu’il serait au moins utile, pour apprécier les compositeurs et les chanteurs qui font la gloire de cette école de comprendre la langue dans laquelle ils s’expriment.

La partition de Corrado d’Altamura est l’œuvre d’un maître, d’un homme qui possède à fond l’art si difficile de grouper les voix et de traiter l’orchestre. L’instrumentation surtout se distingue par une habileté de mise en œuvre vraiment rare, et qui dénote chez M. Ricci une étude particulière des grands musiciens de l’Allemagne. Il y a du Weber dans ces accompagnemens d’un style nerveux et condensé, dans cette manière d’employer les instrumens à vent. Je ne parlerai pas du poème, qui, sans être plus absurde que nombre de libretti auxquels journellement on s’accoutume, ne laisse pas de présenter çà et là des situations très musicales. — La fille d’un puissant seigneur italien du XIIe siècle, la belle Delizia (doux nom que la Grisi devait porter), la belle Delizia aime un galant chevalier qui l’a séduite et la trompe pour rechercher la main de je ne sais quelle princesse sicilienne plus ou moins cousine de l’Isabelle de Robert-le-Diable. Au moment où l’hymen va se célébrer, Delizia survient, renverse les projets du traître, et va se retirer dans un couvent. Lorsqu’il voit sa maîtresse lui échapper, Roggero se reprend à l’aimer avec rage, un peu comme cette reine du drame de M. Hugo. Les deux amans se retrouvent, mais le cloître réclame sa victime, et après des adieux éplorés le beau séducteur finit par tomber sous le fer de Corrado, père de Delizia. — On le voit, les motifs à finales, à duos, à morceaux d’ensemble, ne manquent pas ; il y a même au troisième acte cette teinte reli-