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Dans l’enquête relative à l’ivrognerie, plusieurs médecins ont déclaré que l’excès de la fatigue devait nécessairement porter les ouvriers à recourir au stimulant des liqueurs fortes. D’autres affirment que cette lassitude dispose à rechercher les plaisirs des sens. Les femmes, partageant le travail des hommes, ne tardent pas à se jeter dans les mêmes écarts. Il y a des filatures à Manchester qui les occupent dix-sept heures par jour, sur lesquelles on compte quinze heures et demie de travail effectif. Quant aux enfans, on les voit, en Écosse principalement, après une semaine laborieuse, passer la journée du dimanche au lit. Il n’y a plus de devoirs ni d’éducation dans les familles. Les mères, pour n’avoir pas à s’occuper de leurs enfans pendant les heures où la mule-jenny les réclame, leur donnent, au lieu de lait, une préparation d’opium ; d’autres laissent leurs nourrissons sous la garde de leurs jeunes frères ou sœurs, et c’est ainsi que sur 407 morts violentes, on a compté à Manchester 110 enfans brûlés par l’eau chaude ou par le feu. Ceux qui échappent aux accidens ne reçoivent ni principes ni culture. On voit dans les wynds de Glasgow, et il doit s’en trouver aussi à Manchester, des enfans qui, réduits à une condition purement animale, n’ont pas même de nom.

Certes, s’il existe une race au monde taillée pour le travail, c’est celle qui peuple l’Angleterre, et en particulier le comté de Lancastre. La nature lui avait prodigué dans ce but une volonté indomptable et des nerfs d’acier. Le Lancastrien est à coup sûr le meilleur ouvrier de la terre, le meilleur fileur, le meilleur mécanicien et le meilleur terrassier. C’est lui qui apporte dans l’industrie les méthodes les plus expéditives et la plus active énergie ; mais aussi plus il travaille avec vigueur, et plus cette fièvre de l’action, en se prolongeant au-delà des bornes, doit l’énerver. Le travail excessif, l’over-working, est une maladie que le comté de Lancastre a inoculée à l’Angleterre, et l’Angleterre à l’Europe. Manchester en est le symbole ; malheureusement ce funeste système s’étend au pays tout entier et fait partie de sa constitution. La politique, sur ce point, va de pair avec l’industrie. Les membres des communes donnent le jour à leurs affaires privées, afin de consacrer la nuit à la discussion des affaires publiques. Ajoutez à cela l’étude, la correspondance, les réunions dans les clubs, et la nécessité de paraître à propos de toutes choses sur les hustings, et vous verrez quel gaspillage incessant un homme politique fait de la vie.

Un chef de parti est constamment sur la brèche, prodiguant ses forces tant qu’elles durent et à tout instant. De là peut-être ce besoin de stimulans que Pitt, Fox, Sheridan et Byron ont éprouvé, bien avant