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velles d’Irlande, les adresses d’O’Connell ou les circulaires de l’association puis le tout est commenté sans fin et à grand bruit dans ces rangs pressés. Ils sont si étroitement organisés, et, pour nous servir du terme militaire, ils sentent tellement leurs coudes, qu’en un clin d’œil et au premier signal mille à deux mille sont réunis sur un point donné.

Il y a quelques années, les ouvriers irlandais formaient la partie la plus abjecte de la population ; leurs demeures étaient les plus sales et les plus malsaines, et leurs enfans les plus négligés. C’était dans les caves habitées par les Irlandais que se distillaient en fraude des spiritueux grossiers. La misère, la fièvre, l’ivrognerie, la débauche et le vol y étaient en permanence. Là se retiraient de préférence les vagabonds et les malfaiteurs. Tous les jours, quelque rixe éclatait dans ces affreux quartiers, ou quelque crime les ensanglantait.

Ces faits, dont on trouve la trace dans toutes les enquêtes parlementaires ou administratives publiées depuis douze ans, sont aujourd’hui notablement changés ; Les prédications du père Mathieu, secondées par les efforts du clergé catholique, ont commencé à relever ces malheureux de leur dégradation. Ils s’enivrent moins, et par suite les rixes sont moins fréquentes. Le dimanche 22 juillet 1843, vingt mille d’entre eux avaient pris l’engagement de s’abstenir de liqueurs fortes (taken the pledge) ; le lundi, la police ramassait moitié moins d’ivrognes et de délinquans. Les cabaretiers (publicans) jetaient les hauts cris. Tel palais du gin qui avait coutume de réunir cinquante hommes à la fois n’en comptait que quinze ou vingt. Ce qu’il y a de plus remarquable, c’est la surveillance exercée par le clergé sur l’éducation des enfans. Dans cette ville, où les enfans en bas âge, livrés à eux-mêmes, courent les rues pieds nus et en haillons, pendant que leurs parens s’enivrent, et où la police en recueille plus de cinq mille par an égarés ou abandonnés, les prêtres catholiques tiennent le soir les chapelles ouvertes, comme une espèce d’asile où les jeunes filles et les jeunes garçons passent le temps à chanter des cantiques et à écouter la parole de leur pasteur. J’ai vu le dimanche cinq à six mille de ces enfans défiler processionnellement sous la bannière de saint Patrick, et la demi-propreté, la décence de cette foule enfantine, est le progrès le plus grand, ainsi que le plus inattendu, qu’il m’ait été donné de constater. Somme toute, l’ordre apparent a gagné à Manchester. Depuis l’établissement de la nouvelle police, les rues sont plus tranquilles, sinon plus sûres. On n’a plus besoin, comme il y a douze ans, de mettre en réquisition tous les dimanches des constables-spéciaux pour tenir la