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économie de temps et d’argent dans la production. L’on peut se plaindre de ce que l’espace n’a pas été ménagé pour les hommes, de l’absence de places publiques, de fontaines, d’arbres, de promenades et de logemens aérés ; mais à coup sûr il était difficile de rapprocher davantage les produits du marché, les machines de leurs moteurs, et la fabrication des moyens de transport. Les chemins de fer arrivent portés sur des arcades jusqu’à l’endroit où il cesse d’être incommode d’aller les chercher, et quant aux canaux, ils passent sous les rues et se ramifient dans tous les quartiers, amenant les bateaux de charbon jusqu’à la porte des filatures ou jusqu’à la gueule des fourneaux.

Manchester ne présente ni le mouvement de Liverpool ni celui de Londres. Durant la plus grande partie de la journée, la ville est silencieuse et paraît déserte. Les transports glissent sans bruit sur les canaux, non pas au pied des palais comme à Venise, mais entre deux haies de filatures qui se partagent l’air, l’eau et le feu. Les convois roulent sur les chemins de fer, et font voyager les multitudes aussi facilement que les individus autrefois. On n’entend que la respiration des machines s’échappant par les hautes cheminées en sifflemens de flamme, et lançant pour ainsi dire vers le ciel, en signe d’hommage, les soupirs de ce travail imposé à l’homme par Dieu.

À certaines heures de la journée, la ville s’anime. Les ouvriers, qui entrent dans les manufactures ou qui en sortent, remplissent les rues par milliers, ou bien c’est le moment où la bourse s’ouvre, et l’on y voit affluer les chefs de cette immense population de travailleurs ; mais, même dans les momens où les hommes donnent une libre carrière à leurs sentimens, le caractère sérieux et anguleux de Manchester ne perd rien de la raideur que lui communiquent les préoccupations trop exclusives de l’industrie.

Le docteur Taylor, qui a visité le Lancashire pendant la crise commerciale de 1841, et qui est un peintre un peu optimiste, quoique généralement exact, décrit, dans les termes suivans, les impressions que lui a laissées Manchester[1] : « C’est une ville d’affaires, où la recherche du plaisir est inconnue et où les amusemens sont à peine comptés pour une considération secondaire. Chaque personne que vous rencontrez dans la rue a l’air préoccupé et la démarche précipitée. On ne voit que très peu de voitures particulières ; il n’existe qu’une seule rue qui soit bordée de riches boutiques, encore est-elle d’une date récente. Parmi quelques bâtimens d’un style monumental,

  1. Notes of a tour in the manufacturing districts of Lancashire.