Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/1038

Cette page a été validée par deux contributeurs.
1034
REVUE DES DEUX MONDES.

cette femme, qui jette avec une si étonnante vivacité tant de pensée brillantes, soudaines, imprévues, cette femme qui tient tête au bourguemestre, et qui étourdit l’honnête pasteur, l’auteur l’appelle madame la conseillère, la mère de Goethe sans doute. Personne ne s’y trompe, bien entendu ; il n’y a que Bettina qui puisse parler ainsi et prophétiser si vaillamment sur son trépied.

Malgré la gravité du sujet que Mme d’Arnim a voulu traiter, sa folle imagination éclate à chaque page, et ce qui fera, en grande partie, le succès de ce livre, c’est qu’on y voit une image complète de ce bizarre esprit. Jamais elle ne s’est plus abandonnée à elle-même, jamais les défauts et les qualités de cette ardente nature, sa puissance et sa faiblesse, sa fermeté et son indécision, son éloquence entraînante et son bavardage puéril, jamais son ame tout entière ne s’est révélée avec une complaisance à la fois plus orgueilleuse et plus naïve, avec plus de hardiesse et de sincérité.

Puisqu’il s’agit de politique, j’ai essayé de savoir d’abord ce que désire l’auteur. La tâche n’est pas facile. Quelle est la signification de son livre ? Quel est le système politique et social qu’elle propose, puisqu’il est convenu qu’une femme d’esprit, aujourd’hui, n’a rien de mieux à faire que de réformer l’état ? Que veut-elle ? Quel est son idéal ? Elle adresse son livre au roi : quel est le sens de cette requête si solennellement annoncée ? L’état négligeait d’aller consulter la prêtresse et la prêtresse est sortie du temple pour porter elle-même au maître les enseignemens du sanctuaire ; que contiennent donc les feuilles sibyllines ? Questions embarrassantes et que j’aurai de la peine à résoudre. Parmi ces scènes si vives dont Bettina fait tous les frais, et où le pasteur et le bourguemestre n’arrivent que juste à propos pour lui donner la réplique et provoquer de nouveau sa verve bruyante ; parmi ces entretiens si animés, si étranges, il y en a un qui roule expressément sur la politique, sur la meilleure forme de gouvernement, sur l’avenir de l’humanité, sur les réformes possibles et nécessaires de l’Allemagne. Malheureusement la prêtresse n’est pas toujours intelligible ; l’oracle a souvent plusieurs sens. Tantôt sa hardiesse va aussi loin qu’il lui est permis, tantôt elle revient se placer humblement au pied du trône et caresse ce qu’elle frappait tout à l’heure ; tantôt elle s’enthousiasme pour la révolution française, et, reprochant à Napoléon d’avoir détourné le cours de ces prodigieux évènemens, elle l’interpelle avec éloquence ; tantôt enfin elle rêve un empereur pour la nation allemande, elle le prédit, elle l’annonce, elle prophétise ses magnifiques destinées, et séduite, exaltée par ses propres paroles :