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Fichte, c’est Babœuf, c’est la même audace, la même intrépidité de doctrines, le même radicalisme inflexible. « C’est de Fichte, s’écrie-t-il avec orgueil, que date l’athéisme en Allemagne, c’est de Babœuf que date en France le communisme ou plutôt l’anarchie ! » Cet athéisme et cette anarchie le remplissent de joie, et il poursuit son parallèle avec un patriotique enthousiasme. Vraiment on a de la peine à comprendre de telles aberrations. Quand la noblesse de France, dans cette nuit fameuse de la révolution, déchirait ses titres et ses priviléges, c’était là un acte héroïque, elle immolait des droits iniques aux principes généreux qui l’avaient saisie ; mais vous, ce sont des titres légitimes, ce sont des priviléges glorieux que vous déchirez ainsi, et au profit de quel avenir ? Quand vous aurez détruit les images de vos pères, que mettrez-vous à la place ?

On le voit assez clairement, cette tentative de réforme politique frappait au cœur les forces les plus vives de la nation, ses meilleurs instincts, ses sentimens les plus féconds. Elle détruisait ce qu’il eût fallu diriger. Ainsi cette seconde épreuve n’a pas mieux réussi que la première : la jeune école hégélienne, pas plus que la jeune Allemagne, n’a compris la difficulté du problème qu’il fallait résoudre. Les romanciers s’étaient trompés par frivolité ; les publicistes se sont égarés par la violence. M. Gutzkow, M. Laube, M. Mundt, avaient oublié le but qu’ils s’étaient proposé d’abord ; la tâche qu’ils avaient annoncée si haut était devenue pour eux une rhétorique puérile et l’occasion de quelques impertinences littéraires. M. Arnold Ruge, M. Bruno Bauer, M. Herwegh, ont dépassé ce but ; en haine de ces écrivains frivoles qu’ils remplaçaient, ils ont promptement tourné à une fureur grossière, et par là ils n’ont pas moins compromis que leurs devanciers une cause qu’ils défendaient avec une conviction plus sincère. Aujourd’hui, ils ont quitté l’Allemagne, ils sont venus chez nous, à Paris, et ce n’est pas certes le moment de frapper ces proscrits qui nous demandent un asile. Si j’avais parlé d’eux avec une sévérité qui dût les blesser, je le regretterais sincèrement ; mais la franchise de mes paroles m’était commandée par la gravité du travail d’idées qui agite l’Allemagne et par l’intérêt d’une cause que je crois bonne et qu’ils ont mal servie. Puissent-ils acquérir parmi nous ces qualités qui font notre force ! Je l’ai dit tout à l’heure, la situation actuelle de l’esprit allemand peut assez bien se comparer à ce qu’était en France l’opinion publique vers l’époque où le Globe fut fondé. En politique, en littérature, le Globe était le représentant des idées jeunes, actives, mais fermes et bien sûres d’elles-mêmes ; il a suivi sa route avec une