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DE LA LITTÉRATURE POLITIQUE EN ALLEMAGNE.

qu’on voit, chez Bardeloh, au milieu d’un bal étincelant, le moine fou rompre sa chaîne, et, emporté par la musique délirante de son ami l’idiot, saisir une jeune fille et l’entraîner dans une danse effrénée, dont les peintres du moyen-âge n’auraient jamais imaginé la burlesque audace. C’est là qu’une des victimes de Mardoché empoisonne en riant Sara, la fille du juif. C’est là que le juif a réuni dans une salle mystérieuse ce que sa main sacrilége a volé dans les églises, des hosties consacrées, des ciboires, des statues du Christ ; n’a-t-il pas placé son propre buste dans ce sanctuaire abominable ? Toutes ces statues jouent un grand rôle dans le roman de M. Willkomm ; quand il veut se débarrasser de quelqu’un de ses personnages, elles obéissent à un signe de sa main, et, tombant sur celui-ci ou sur celui-là, elles lui cassent la tête. C’est là enfin que Bardeloh, voulant tuer son fils, se frappe lui-même d’un coup de poignard. Ces mystères de Cologne, qui ont devancé les nôtres, s’étalent publiquement, devant tous les yeux ; car il est bon de dire que c’est toujours dans un bal, dans un festin, que l’auteur a soin d’amener ces agréables divertissemens. Cependant, sous les fenêtres, le peuple rit et chante, les masques se croisent dans la boue, et le carnaval se barbouille de lie.

On a loué dans ces tableaux une certaine vigueur d’imagination et de style ; il fallait plutôt la déplorer, car c’est la vigueur du délire. L’auteur a voulu montrer à la société les maux qui la déchirent ; il a cru faire toucher à tous ceux qui le liront les plaies dont ils souffrent sans les connaître. Singulière démonstration ! J’accorde à M. Willkomm qu’il y a quelqu’un ici de très malade ; mais est-il bien sûr que ce soit le lecteur ?

II.

L’école du Weltschmerz, pas plus que la jeune Allemagne, ne pouvait satisfaire aux besoins nouveaux éveillés depuis 1830, et qui contenaient, je l’ai dit, quelque chose de très légitime. On vient de voir comment cette opposition avait, dès le second jour, oublié son programme et substitué sa volonté et ses prétentions littéraires à une entreprise qui, sérieusement dirigée, pouvait avoir des résultats heureux. La lutte se déplace bientôt, et les écrivains dont je viens de parler vont être expulsés du champ de bataille par une invasion soudaine qui les dispersera en un instant bien mieux que n’avaient pu faire les persécutions de la diète. Les hommes d’imagination avaient entrepris la réforme des universités, avec quelle légèreté, avec quelle