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jusqu’au sang. Dieu et le monde s’étaient embrassés dans un baiser de mort : la terre tremblait et frissonnait, et il semblait qu’en cet embrassement elle disparaîtrait dans l’éternité. Cependant elle ne disparut point ; l’esprit de l’amour la pénétra, et, pleine de désirs, elle serra dans son sein ce nouveau germe de vie. Mais on ne vit point qu’elle y gagnât le bonheur et la sérénité : quelle tristesse sombre dans les premiers siècles du christianisme ! Dieu et le monde s’étaient embrassés dans Jésus, et j’espérais au fond de mon cœur que l’antique douleur était consolée, que l’unité était conquise. Je regarde, je regarde encore autour de moi, et je les trouve tous deux plus divisés, plus ennemis qu’auparavant. Je frissonne jusque dans la partie la plus secrète de mon cœur, et je ne sais ni comment expliquer, ni comment accepter les pensées inquiètes qui s’agitent en moi. Ah ! Dieu et le monde, au fond de mon ame, aspirent à la paix, et je me sens assez fort pour les réconcilier. Ne disparais pas sous moi, ô monde ! ne t’abîme pas sur ma tête, ô ciel ! ne te disperse pas dans l’infini, ô mon esprit plein de jeunesse ! ne va pas te perdre et te dissoudre dans la matière, mon corps amoureux de la vie ! Et vous me criez que je ne suis pas un Christ ! et je médite, et je vous réponds à vous et à moi, je vous réponds, sans crainte d’être contredit, que je suis le Christ, si Dieu et le monde s’unissent dans mon cœur ! »

Voilà les idées auxquelles M. Mundt est le plus attaché. On les retrouve dans tous ses écrits. Ce n’est pas autre chose, on le voit, que ce panthéisme à la fois mystique et sensuel vers lequel les imaginations allemandes se laissent si aisément entraîner. Lorsqu’il attribue au protestantisme tous ces dogmes nouveaux, il serait repoussé, je ne dis pas seulement par les piétistes, les méthodistes, les supernaturalistes et toutes les sectes illuminées, mais par le rationalisme lui-même. Quant aux hégéliens de la jeune école, ils ont dépassé depuis long-temps les idées de M. Mundt, et ce livre a dû paraître bien fade à des hommes qui accusent M. Strauss d’une orthodoxie pusillanime.

Il y a pourtant une certaine hardiesse dans le roman de M. Mundt, et je comprends qu’il ait occupé l’attention publique. Ce livre s’appelle Madonna. L’auteur, parcourant la Bohême, arrive au petit village de Dux, où Casanova écrivit ses mémoires. Il assiste à une procession, et dans la foule recueillie qui accompagne les bannières, il remarque au-dessous même de l’image de la Vierge une jeune fille d’une beauté douce, calme, grave, d’une sérénité si haute et si sainte, qu’il se découvre involontairement devant elle. Serait-ce la madone elle-même descendue des cieux sous cette forme si pure, au milieu des bonnes