Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/1019

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux prières, le christianisme s’est répandu dans l’histoire ; il n’est plus comme la cellule écartée, la cellule pieuse où l’on cherchait un abri contre le tumulte du monde. Le christianisme est devenu histoire ; ce n’est plus seulement le refuge des pauvres et des malades, il a achevé de se construire comme le temple universel des peuples. Ainsi s’accomplit cette idée, que Dieu est venu dans le monde, qu’il y entre toujours, toujours davantage, car si Dieu s’est uni au monde dans le christianisme, ce n’est pas là un acte déterminé, un acte irrévocable de la grace ; c’est une apparition qui se renouvelle à l’infini. C’est pour cela que le christianisme, en sortant de l’église pour entrer dans l’histoire, s’associe toujours aux progrès incessans de l’humanité ; oui, c’est lui qui pousse l’humanité en avant, et à son tour il est poussé par elle. Et de même qu’il était autrefois la religion de la lutte et qu’il favorisait un conflit perpétuel dans la vie d’ici-bas, il suscitera, il enfantera certainement une époque de civilisation pleine d’harmonie et déjà cette époque se prépare puissamment de tous les côtés. Notre race commence à se sentir vraiment humaine, dans la saine unité de sa destination divine et terrestre, et elle accomplit avec joie, avec calme, les actes de la vie, avec joie, avec calme, car Dieu est devenu monde. » Ailleurs encore, en admirant à Vienne le magnifique tableau de Rembrandt, Pilate lavant ses mains, il se jette, comme il sied à un voyageur allemand, dans toute sorte de rêveries, méditations, divagations mystiques, et, cherchant à comprendre pourquoi le fils de Dieu s’est fait homme, il s’écrie : « Cur Deus homo ? Cette question me rendait toujours plus sérieux, elle éveillait en moi des pensées profondément tristes. J’allais et je venais devant le tableau en tremblant, et tantôt je levais les yeux vers les sujets redoutables qu’il représente, tantôt je baissais les yeux comme aveuglé. Ah ! pensais-je en soupirant, il y a dans le monde, depuis l’origine des temps, un déchirement qui ne finira pas, Dieu habitait dans le ciel, les hommes habitaient sur la terre, c’était là le premier aspect du monde, il n’y en avait point d’autre. Néanmoins, à travers cette situation, brillait toujours le souvenir merveilleux d’une antique union de l’humanité avec celui à l’image duquel elle a été créée. De là, dans toutes les histoires primitives, le merveilleux rêve du paradis. De là aussi, dans tous les esprits, un désir inextinguible de retrouver cette union ; ce fut la douleur universelle… Alors il sembla que Dieu n’eût plus de repos dans le ciel, tant il avait pitié de ce monde qui ne pouvait arriver à lui par sa seule raison. Il est venu dans le monde, et le monde ne l’a pas compris. Il s’est fait chair, et il a dû mourir. Il s’est fait homme, et il a été fouetté de verges