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est surtout un instrument, une arme puissante et redoutable. Cette arme, ce sera la plaisanterie, l’ironie, l’humour. Que veut en effet cette jeune école ? Elle veut agir vivement sur l’esprit public, elle veut réveiller la nation qui s’endort, elle veut frapper la moderne scholastique sous son bonnet solennel, et rajeunir la vénérable science des universités. Pour cela, il faut une parole agile ; il faut une muse court-vêtue qui sache marcher sur la terre ; il faut une plaisanterie vive à la fois et mélancolique, qui exprime et les douleurs des générations nouvelles et leurs ambitions guerrières. Ce n’est pas, croyez-le bien, la plaisanterie de Voltaire, si acérée, si impitoyable ; non, ce serait plutôt l’ironie où excellait Byron, fantasque et gracieuse, folle, vagabonde, mais ne se passant jamais du cœur et de la poésie. Schiller avait trop d’enthousiasme pour n’être pas dupe, et cette exaltation de son ame est dangereuse pour l’Allemagne, qui est trop portée à s’y oublier et à s’y perdre. Goethe a bien de l’esprit ; mais, dans son ironie, quelle indifférence ! quel dédain ! Il faudrait si cela était possible, le cœur enthousiaste de l’auteur de Don Carlos, et l’esprit si fin, si rusé, si diplomate, du poète de Faust. Il y a un écrivain en Allemagne qui semble avoir donné l’exemple de cette difficile alliance et offrir le premier modèle de cette inspiration corrigée par un scepticisme aimable. Personne n’a été plus ardent, plus généreusement enthousiaste que Jean-Paul ; personne aussi n’a manié avec plus de grace cette moquerie affectueuse qui empêche l’esprit de s’aller perdre dans les inventions grandioses de son spiritualisme et le ramène sans cesse à la réalité. M. Wienbarg, qui cherche avec soin dans la littérature de son pays des noms glorieux à qui rattacher sa poétique nouvelle, montre que Jean-Paul en est le créateur en quelque sorte. Il cite de lui de curieuses paroles, il analyse avec finesse cette forme affectée par la pensée, et l’auteur du Titan, qui l’a introduite le premier dans les lettres allemandes, est à ses yeux le plus populaire des écrivains de ce pays, celui qui a le plus travaillé à l’émancipation des esprits. Mais Jean-Paul est de son siècle ; Jean-Paul, comme Goethe, comme Schiller, obéit à une poétique trop impartiale, trop désintéressée ; il vit dans une sphère trop éloignée de ce monde où nous souffrons, où nous devons agir, où nous avons des intérêts à défendre, des principes à faire triompher. Son ironie, malgré le bien qu’elle a fait, n’a pas de but déterminé ; son caprice lui a enlevé sa force. « Oui, dit M. Wienbarg en terminant ses leçons, l’union de l’ironie avec la fantaisie a ses inconvéniens ; l’exemple de Jean-Paul le prouve : avec moins de fantaisie, son ironie eût porté des coups bien plus sûrs. C’est là