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gouvernement était suspendu de par la constitution, l’anarchie sanctionnée par la loi. Il semble que la Pologne aurait dû renoncer à des institutions trop généreuses pour elle, cependant elle persista à les garder ; aussi bien n’aurait-elle rien gagné à adopter des lois étrangères. L’enthousiasme était si bien son ame, qu’elle devait périr une fois cette flamme éteinte. La Pologne n’aurait pu se façonner à une constitution fondée sur un autre principe. Il n’y avait point de ressources pour elle ailleurs, et sa chute ne fut retardée que par les retours passagers de la nation à l’enthousiasme, ou par les efforts de quelques grands citoyens animés de cette vertu polonaise.

Le mal s’était déclaré sous le dernier des Jagellons, Sigismond-Auguste, qui descendit au tombeau l’amertume dans l’ame. De funestes pressentimens l’accablaient, et, quand on lui demandait de désigner son successeur, il montrait tristement le Nord. La Russie, en effet, grandissait dans ses déserts. Ivan lui donnait la force avec l’unité, et cette puissance épiait déjà la Pologne, espérant bien en faire un jour sa proie. À l’époque des premiers désordres, une voix solennelle se fit entendre. Un prêtre éloquent, Scarga, apparut pour rappeler la Pologne au devoir ; on aurait dit que la conscience publique avertissait les citoyens par sa bouche avant qu’il fût trop tard, et annonçait d’inévitables malheurs, si l’on s’égarait davantage. Mais tout fut inutile. Scarga ne cessait d’exhorter les Polonais au patriotisme, il les conjurait de laisser les querelles, il tançait une noblesse turbulente, il défendait contre elle la royauté et le malheureux paysan ; il combattait aussi la réforme de toute sa puissance. C’est surtout dans les sermons politiques qu’il prononçait à l’ouverture des diètes qu’éclate son véhément génie. Les nonces, presque tous protestans, haïssaient Scarga. Ces hommes fiers l’interrompaient souvent par des murmures ; ils se tenaient debout devant l’autel, et quand le prêtre élevait l’hostie, ils affectaient d’agiter leurs bonnets surmontés d’une aigrette en diamans. Scarga reçut un jour un soufflet, au sortir de l’église ; on voulut même l’assassiner. Il disait sans peur à ses ennemis irrités les vérités les plus dures, et telle était sa force, que souvent il les maîtrisait. Comme les prophètes hébreux qui prédisaient à Jérusalem les verges et les bénédictions, qui saluaient avec ravissement ses triomphes et tout à coup pleuraient ses désolations, Scarga aussi bénit et maudit, exalte et humilie, célèbre et menace à la fois. Telle est sa sublime éloquence. C’est la ferveur de la justice, l’esprit de pénitence, le zèle d’un patriotisme tout pénétré de Dieu ; aucun soin de plaire, nulle division, nul artifice, toujours un discours qui jaillit des profondeurs de l’ame.

La Pologne était alors glorieuse et puissante ; mais les prospérités présentes n’aveuglaient point Scarga. Il voyait les anciennes vertus déchoir, et il déclarait des châtimens certains. Il peignit l’infortune future de sa patrie avec une vérité si frappante, qu’il semble y avoir assisté en esprit : « L’ennemi qui épie l’occasion de vous écraser, disait-il, s’avancera vers vous, et vous saisissant par votre côté faible, mettant la main sur vos discordes, il s’écriera : Maintenant que leur cœur n’est pas d’accord avec lui-même,