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MOUVEMENT DES PEUPLES SLAVES.

aimait les contes populaires ; il recherchait tout ce qui était slave. Cette pauvre ame était saisie d’effroi à la vue de ce qui se faisait en Russie. Alexis éprouvait une terreur instinctive à l’approche de son père, qu’il voyait acharné à détruire la législation et la religion du pays. Il s’enfermait et pleurait avec sa mère, quelques prêtres et quelques amis, sur le sort de l’empire. Mais Pierre ne le laissait pas tranquille ; il voulait, à toute force, le soumettre à ses plans. Alexis s’enfuit pour échapper à cette persécution. Pierre lui adresse d’abord des lettres sévères et menaçantes ; tout d’un coup, il devient tendre, presse son fils de revenir, promet de tout oublier, et jure par le saint-sacrement de ne lui faire aucun mal. Alexis croit son père et rentre en Russie. Il est aussitôt saisi et mis en jugement. Rien de plus effroyable que sa procédure. Pierre exige, en qualité de patriarche, la confession d’Alexis. Ce malheureux Slave, résigné et patient comme sa race, reconnaît le pouvoir spirituel du tsar, et confesse ses péchés. Il s’était surpris quelquefois désirant la mort de son père : il avoua toutes ses pensées secrètes. On s’arma contre lui de cette sincérité, et on le condamna pour une tentation à laquelle il avait résisté, pour un de ces coupables vœux qui traversent même l’esprit des saints. Pierre ajouta l’hypocrisie au crime. Il fit semblant de commuer la peine du prince en une détention perpétuelle, et le même jour, il donna, de sa main, à Alexis un breuvage empoisonné.

Pierre compléta l’œuvre politique des tsars en organisant l’armée russe. Ce fut là sa création la plus puissante. L’armée russe ne ressemble à aucune autre. Les paysans de Moscou, d’Arkangel, de Nowgorod, en formèrent le noyau. Ce sont des hommes de race finno-slave, grands et robustes. Ils ont une intelligence étonnante et le cœur sec. Leur regard offre quelque chose d’extraordinaire. Quand on observe attentivement leurs yeux, on s’effraie de n’y pas trouver de fond. La lumière en est vive et froide : on dirait la transparence d’un glaçon brillant. Les Slaves du midi, en entrant dans les cadres de l’armée, prenaient le caractère des Slaves du nord. Il s’est formé ainsi une population militaire à part. Les soldats, recrutés pour vingt-cinq à trente ans, ne revoient plus leur village ; ils en oublient les mœurs et les traditions, et n’ont plus que leur régiment pour patrie. Les régimens sont éternels dans l’armée russe. Ceux que Pierre a créés subsistent toujours avec les mêmes noms, ils ont conservé la plupart leurs vieux drapeaux, et souvent, dit-on, les mêmes armes. On a vu plusieurs fois sur les champs de bataille les soldats russes abandonner leurs blessés pour sauver les casques et les sabres. Pierre donna à la discipline cette sanction de terreur qui n’a cessé d’entourer le souverain moscovite. Cette terreur descend du tsar aux généraux, aux officiers, aux soldats. La crainte est une émotion physique, la terreur un ébranlement de l’ame, et tout ce qui met l’ame en mouvement donne une force immense. La discipline russe produit des miracles. L’armée se trouvait une fois décimée par la contagion : le général défendit par un ukase aux soldats de tomber malades ; ceux qui désobéirent furent enterrés vifs. L’épouvante fit cesser le fléau. Au siége d’Ismaïl, on prit pour l’escalade des échelles trop courtes. Les pre-