Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/961

Cette page a été validée par deux contributeurs.
955
MOUVEMENT DES PEUPLES SLAVES.

rateur, croyaient à l’immortalité de l’ame, et reconnaissaient un esprit déchu, dieu noir qui combattait le dieu blanc. Du reste, ils n’avaient pas l’idée d’une révélation ; ils n’ont point eu de prophètes, et aucun messie ne les a visités. La simplicité de cette religion prouve la haute antiquité des Slaves ; ces peuples se sont constitués avant la crise qui a produit les mythologies, ils conservèrent pures les traditions de l’âge patriarcal. Ils en avaient surtout retenu les rites domestiques et agricoles. Dans leurs fêtes, ils célébraient les esprits des aïeux et les divinités des champs. La vie de famille et les travaux de la campagne étaient, jusque dans leurs moindres détails, réglés avec une rigueur liturgique. Repas, vêtemens, habitation, labour, semailles et moisson, heures, journées, saisons, rien n’était indifférent, tout avait un sens mystique.

Les Slaves ne pouvaient avoir de prêtres ; un sacerdoce suppose une révélation. Ils n’avaient non plus ni seigneurs, ni rois. Certains hommes étaient, chez les anciens, élevés au-dessus du peuple, parce qu’on les croyait issus des dieux, et les Slaves n’avaient pas de mythologie. Ils étaient, à cause de leur dogme, tous égaux et frères, et chacun égal à tous. Dans leurs assemblées générales, dans les assises du jury[1], et plus tard dans les diètes polonaises, le consentement unanime était nécessaire ; on ne pouvait prendre une décision dès qu’une voix s’y opposait. C’est là un principe essentiel du droit slave.

Lorsqu’un village comptait plusieurs familles de plus de sept membres, et qu’une année fertile donnait double ou quadruple récolte, il fondait une colonie. Les vieillards déterminaient, d’après les anciennes coutumes, le départ, la route, le terme du voyage. Arrivés sur leurs nouvelles terres, les émigrans attelaient un bœuf blanc et un bœuf noir, et le sillon tracé était la limite légale. La colonie s’appelait swoboda ou sloboda (liberté). Il s’y trouvait un bois sacré pour les cérémonies religieuses, les assises du jury, et la discussion des affaires publiques. En cas d’invasion, on coupait des rameaux des arbres sacrés et on les envoyait aux voisins, qui accouraient à ce signal. À côté du bois, une enceinte fortifiée servait de refuge contre les attaques imprévues. Une troisième place correspondait au mont Palatin de Rome ; c’était là que s’offraient les sacrifices ; là aussi plus tard on exécuta les criminels et on brûla les cadavres. On réservait une terre communale, que tous les colons devaient cultiver. Les récoltes s’emmagasinaient dans des greniers publics et servaient à défrayer les hommes qui formaient la milice et à nourrir le peuple dans les temps de famine. Le reste du territoire se partageait en lots égaux ; chaque ménage en recevait un plutôt en usufruit qu’en propriété ; il ne pouvait ni le vendre, ni l’aliéner, ni l’augmenter. Chaque ménage se bâtissait aussi une maison de bois. Les vieillards désignaient le

  1. Les Saxons et les Anglais se disputent l’honneur d’avoir créé le jury. Des deux côtés, on a tort. Le jury est une institution slave, que les Saxons ont adoptée très anciennement, et transportée en Angleterre.