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DU CARTÉSIANISME ET DE L’ÉCLECTISME.

s’enthousiasmer pour un système, puis en prendre dégoût ; nous le verrons même à certaines époques témoigner une sorte de dédain général s’adressant à tous les systèmes. Cette disposition n’est pas durable ; bientôt l’indestructible vocation de l’esprit humain pour le dogmatisme se fait jour et reparaît avec une ambition, avec une énergie nouvelle. Aussi, tout en se préoccupant comme il convient des tendances sceptiques qui peuvent de nos jours énerver les ames et troubler les esprits, on ne doit pas en concevoir une décourageante inquiétude. Il n’y a pas pour le scepticisme de triomphe éternel ; autrement il faudrait fermer le livre de l’histoire et de la vie. L’esprit de l’homme revient au goût du vrai, ainsi qu’à la conviction qu’il est doué de la puissance nécessaire pour le trouver. On peut même, à certains symptômes, reconnaître aujourd’hui une tendance assez générale à se mettre à la recherche de solutions plus positives, et plus satisfaisantes que les solutions connues. Il doit être en effet dans la destinée de l’éclectisme de donner naissance à des développemens divers qui le contredisent sur des points essentiels. Ces contradictions, par lesquelles marche la science, sont honorables pour ceux qui en sont l’objet, car elles prouvent qu’ils ont mis les armes à la main à ceux qui les combattent.

Puissions-nous ne pas nous abuser en espérant que dans l’avenir le mouvement philosophique aura un autre caractère que les travaux accomplis ! Ces travaux, nous le répétons, ont été utiles, méritoires ; quelques-uns sont excellens. Maintenant d’autres besoins demandent d’autres efforts. Nous voudrions aujourd’hui voir sur le premier plan plutôt la pensée individuelle que l’érudition et l’histoire. Ce qui se passe n’est-il pas fait pour ranimer l’ardeur de l’esprit, pour l’exciter à user de toutes ses forces ? On dirait comme une conspiration générale contre la raison humaine : nous ne croyons pas que depuis le XVIe siècle elle ait jamais été plus assaillie, plus accusée. Dans la patrie de Kant domine le mysticisme, ou, pour parler le langage du pays, le supernaturalisme, avec d’autant plus de puissance qu’il déploie un grand appareil métaphysique et une vaste érudition. Ici c’est à moins de frais que la raison est poursuivie : on lui reproche son impuissance sans se mettre en peine de la prouver, mais en revanche la déclamation s’emporte parfois jusqu’à la fureur. Il semblerait que le caractère spiritualiste des opinions philosophiques de notre âge devrait tempérer la passion des défenseurs officiels et officieux de la religion et de l’église. Détrompez-vous : le spiritualisme de notre époque est réputé par eux plus dangereux