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DU CARTÉSIANISME ET DE L’ÉCLECTISME.

méthodique, et il aspire à être complet. L’Histoire de la révolution cartésienne n’est pas un livre qui puisse attirer les regards par l’éclat du style ou la hardiesse des pensées : c’est un travail consciencieux, substantiel, c’est une de ces compositions modestes et solides qui commandent l’estime.

Soldat discipliné de l’éclectisme, M. Boullier en professe toutes les opinions. Les critiques qu’il adresse à la métaphysique de Descartes lui sont inspirées par la psychologie de l’école à laquelle il appartient. Malheureusement cette partie du mémoire de M. Boullier n’a pas assez d’ampleur et de détails : c’est fâcheux, car là était l’intérêt actuel et philosophique de la question.

En faisant la critique du cartésianisme, l’éclectisme s’est trouvé conduit à affirmer de plus en plus son caractère exclusivement psychologique[1]. Jamais entre deux écoles l’opposition ne fut plus saillante. On pourrait dire que le procédé de Descartes a été surtout de calquer la nature humaine sur la nature divine. Quand il a affirmé l’identité de la pensée et de la vie, Descartes se plonge dans la méditation de Dieu, et c’est avec ce qu’il y trouve qu’il se représente la nature humaine. L’éclectisme a renversé le procédé, il étudie l’homme, il s’attache exclusivement à l’observation du moi ; quand enfin il se détermine à contempler Dieu, il lui arrive de construire une théodicée avec des faits psychologiques, et la volonté divine se trouve calquée sur la volonté humaine.

L’éclectisme donne une grande preuve d’impartialité, et presque à ses dépens, quand il met en lumière le cartésianisme. En effet, exciter les esprits à l’étude d’hommes tels que Descartes, Spinoza, Leibnitz, c’est faire reparaître l’ontologie sur le premier plan de la scène, et dès-lors il est inévitable que de nouveaux débats s’élèvent. On n’échappe pas d’ailleurs au mouvement de son siècle. Les intelligences, les imaginations sont tourmentées de je ne sais quelle passion pour les choses religieuses et divines. Les uns frappent à la porte du sanctuaire, les autres à celle de l’école. Malheur à la philosophie qui s’effraierait de cette curiosité, et ne serait pas en mesure de la satisfaire ! La science ne saurait vouloir ni éluder les questions, ni circonscrire l’activité de l’esprit. Son rôle est sévère, sa mission auguste : elle tire son autorité de sa sincérité incorruptible. À ceux

  1. Sur ce point, il faut consulter, indépendamment du travail de M. Bouiller, le Rapport, fort remarquable, présenté par M. Damiron, au nom de la section de philosophie, sur la question du cartésianisme.