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DU CARTÉSIANISME ET DE L’ÉCLECTISME.

moulin. Maintenant, cette distinction constitue-t-elle une théorie ? Nullement. Observer les faits, puis les expliquer sont deux degrés dans la connaissance des choses qu’il importe de ne pas confondre.

Que penser de Pythagore, qui définit l’ame un nombre qui se meut de lui-même ? Que dire de M. de Maistre, qui appelle le nombre le miroir de l’intelligence ? Enfin quel sens donner à cette parole de Novalis : « Le véritable mathématicien est enthousiaste per se ; sans enthousiasme, point de mathématiques ? » Aux yeux de ces penseurs, la nature complexe de l’homme doit se résoudre dans une unité suprême. Ils étaient les représentans d’une grande doctrine, d’une doctrine éternelle sous la variété des symboles religieux, et au milieu de la multiplicité des écoles philosophiques. Suivant cette doctrine, tant que l’entendement ne franchit pas certains degrés, l’ordre moral et l’ordre géométrique sont distincts. Alors le sentiment et la raison ont chacun leur domaine. Il y a dans ce dualisme de grands développemens pour l’esprit et pour le cœur. L’esprit établit des démonstrations puissantes, le cœur se nourrit de croyances sublimes. Eh bien ! il est une sphère encore supérieure, c’est celle de la vision pure de l’intelligence. Celui qui a la force de s’y élever et d’y vivre plane au-dessus des contradictions de la raison et du sentiment, il comprend l’identité de l’idée et du nombre, de la métaphysique et des mathématiques, et il est en communion avec l’unité suprême qui est substance, force et vérité.

Voilà une théorie. M. Bordas-Demoulin ne s’en fait-il pas lui-même l’interprète involontaire et incomplet, quand, dans son chapitre sur l’infini, il dit : « Si la pensée s’empare des infinis relatifs, ils la remplissent tout entière, et l’infini absolu lui échappe ; si elle atteint l’infini absolu, il lui dérobe les infinis relatifs. » En effet, où trouver l’infini absolu, si ce n’est à travers l’identité suprême du nombre et de l’idée ? Dans son chapitre sur la substance, M. Bordas-Demoulin est la dupe d’une illusion, quand il croit élever une théorie ; et dans son chapitre sur l’infini, il semble détruire lui-même une partie des choses avancées au sujet de la substance.

Résumons nos critiques. Dans M. Bordas-Demoulin, il faut distinguer l’historien du cartésianisme d’avec l’homme qui prétend au rôle de métaphysicien créateur. Nous n’insisterons pas davantage sur les prétentions du métaphysicien aspirant au génie : ce serait inutile et cruel. Nous aimons mieux caractériser le talent de l’historien du cartésianisme, de l’écrivain philosophe. Ce talent a de l’éclat et de la force par saillies, mais il est foncièrement inégal. L’auteur, mal-