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moulin, la constitution de la substance a été méconnue ; on l’a toujours placée exclusivement dans la force ou dans la quantité. Ni la quantité ni la force n’ont encore été profondément sondées. La dépendance de la force et de la quantité n’a pas encore été comprise. Malebranche a failli la saisir par l’étendue intelligible qu’il met en Dieu, mais il laisse échapper la vérité qu’il touche. Il y a deux élémens, la vie et l’étendue, la force et la quantité, la perfection et la grandeur. Considère-t-on les êtres ? Dans chacun, il y a de l’étendue, et, en tant qu’étendue, il répond aux idées de grandeur. Considère-t-on les actes de la pensée ? Dans chacun, il y a des idées de grandeur, mais aussi il y a des idées de perfection, et il faut distinguer les actes où les idées de grandeur n’entrent qu’afin d’aider les idées de perfection à se produire, de ceux où elles entrent afin de se produire elles-mêmes. Pour ne pas faire cette distinction, il arrive qu’on traite les idées de perfection à la manière des idées de grandeur, et qu’on dénature, qu’on renverse les sciences qui en dépendent. Les idées de perfection échappent à la compréhension rigoureuse du symbole, de la lettre, des chiffres, parce que la force n’est pas, comme la quantité, divisible par essence en parties égales. — Voilà ce que M. Bordas-Demoulin appelle une théorie neuve et véritable de la substance. L’auteur signale avec raison deux ordres d’idées et de faits, et nous ne nous élèverons pas contre une distinction sur laquelle nous avons nous-même plusieurs fois insisté. Il y a plusieurs années, nous écrivions ces lignes : « La confusion de la vérité géométrique et de la vérité morale est dangereuse, car elle fausse et pervertit de nobles efforts. Dans l’ordre géométrique, tout se démontre, parce que tout se calcule et se mesure, et la science produit une certitude qui porte toujours avec elle sa démonstration. Dans l’ordre moral, l’esprit conçoit, il induit, il croit, et la science produit une certitude qui, pour exister, ne peut se passer ni de foi, ni d’espérance. Si vous portez dans l’ordre moral les exigences de l’ordre géométrique, vous le détruisez tout entier, et vous douterez de tout, parce que vous serez dans l’impuissance de rien affirmer mathématiquement… Reprocher à l’idéalisme d’être destitué de la certitude mathématique est d’un esprit peu scientifique. La religion et la philosophie sont en dehors des formules logiques par lesquelles nous nombrons et mesurons les choses[1]. » Voilà, ce nous semble, en d’autres termes, la même distinction qu’a établie M. Bordas-De-

  1. Préface générale des Études d’histoire et de philosophie, 1836.