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DU CARTÉSIANISME ET DE L’ÉCLECTISME.

modifications qui expriment les attributs de Dieu d’une manière certaine et déterminée. C’est pourquoi Spinoza avoue sans détour que l’esprit humain est une partie de l’intelligence infinie, et qu’il n’y a ni bien ni mal en soi. » Cette brièveté touche à l’injustice, car elle doit nécessairement donner au lecteur une idée fausse du système de Spinoza.

Il semblerait, d’après les paroles que nous avons citées, que Spinoza ne reconnaissait ni bien ni mal moral ; or, cela n’est pas. Spinoza, dans son Éthique, s’élève contre la manie qui travaille l’homme de prêter à Dieu ses manières de voir et de sentir. L’homme se fait centre de l’univers, et dans les jugemens qu’il porte il met les affections de son imagination à la place des choses. C’est ce que condamne Spinoza, et c’est en ce sens qu’il ne reconnaît pas le bien et le mal tel que se le représente le vulgaire. Voilà la partie négative. Maintenant entrons dans le dogme du spinozisme. L’esprit humain, partie de l’intelligence infinie, doit se proposer de s’en approcher le plus possible. Le bonheur et la liberté de l’homme consistent dans un constant et éternel amour de Dieu. Cet amour de l’intelligence humaine pour Dieu devient une partie de l’amour infini par lequel Dieu s’aime lui-même, et, de son côté, l’entendement de l’homme est arrivé à sa perfection, parce qu’il comprend Dieu et tous ses attributs. C’est par un retour à Dieu que l’esprit de l’homme acquiert sur ses passions une puissance souveraine, et ne conçoit plus les choses que frappées d’un caractère d’éternité, sub specie æterni. Alors s’élève dans l’ame de l’homme une joie divine, et tous ses désirs proviennent de la raison. L’homme libre rejette loin de lui la pensée de la mort, et sa sagesse est une perpétuelle méditation de la vie, et ejus sapientia non mortis, sed vitæ meditatio est. Ainsi identité du bonheur et de la vertu, identité de la liberté humaine et de la volonté divine, identité de la vie terrestre avec l’éternité de l’univers, voilà la morale de Spinoza. Évoquons nos souvenirs. N’avons-nous pas déjà vu quelque chose de semblable dans l’histoire des idées humaines ? Plutarque et Stobée ne nous ont-ils pas appris que c’était là à peu près le fond de la morale du portique ? Par sa métaphysique, Spinoza touche à l’Orient et à Moïse ; par sa morale, il donne la main à Zénon, à Chrysippe, à tous les grands stoïciens. Oui, il y a eu dans tous les temps de fortes ames qui ont dédaigné les illusions et les promesses dont la foule a besoin, et qui, se considérant comme partie intégrante de l’ordre éternel des choses, ont placé leur bonheur et leur vertu dans l’exécution libre et désintéressée des décrets de Dieu. Sur