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DU CARTÉSIANISME ET DE L’ÉCLECTISME.

s’est proposé de prouver l’impuissance de Schelling à doter la philosophie de résultats nouveaux et bons, et il lui crie :

Quid tanto dignum feret hic promissor hiatu ?

Schelling ne répondra pas. Non-seulement il a résolu de s’abstenir de toute polémique, mais il est fort probable que ses livres dogmatiques tant annoncés ne paraîtront qu’après sa mort. En attendant, il y a ceci de bizarre, que le représentant le plus célèbre de la philosophie européenne est désavoué par les philosophes et revendiqué par les croyans et les mystiques. Il est à nous, disent de l’autre côté du Rhin les théologiens et les piétistes. Il a perdu le sens philosophique, répondent les disciples de Kant, de Fichte et de Hegel. On ne peut méconnaître que la singulière situation de Schelling ne soit un sujet de triomphe pour le mysticisme.

Mais nous n’avons pas le dessein de parler aujourd’hui de la philosophie allemande : c’est l’éclectisme français surtout, dans son application à l’histoire des systèmes, qui nous occupera ; nous considérerons notamment le cartésianisme.

Quand, du haut d’un système dans lequel on a foi, on considère l’histoire de la philosophie, on est frappé de l’unité rigoureuse qui la constitue et des lois nécessaires qui président à ses développemens. On comprend tout ce qu’il y a de providentiellement fatal dans la chaîne sacrée des conceptions humaines et dans l’apparition successive des grands philosophes, ces héros de la pensée. Nous sommes là dans le monde des idées, et le hasard n’y prévaut pas. C’est un plaisir vraiment rationnel de voir la pensée vivante de son temps, produite au jour par les travaux et par les révolutions du passé, les couronner comme une conclusion légitime et féconde. L’esprit philosophique n’était pas en France à cette hauteur, quand, il y a trente-deux ans, on s’y mit à s’enquérir un peu des systèmes qui ne concordaient pas avec l’école de Condillac. La philosophie écossaise fut le premier objet d’une curiosité encore timide. Elle était d’ailleurs dans une sorte de proportion avec les forces de ceux qui s’aventuraient en dehors des routes battues. L’essor philosophique ne s’élevait pas alors bien haut, et l’école écossaise fut considérée comme un abri commode entre les bas-fonds du sensualisme qu’on voulait quitter et les hauteurs du spiritualisme qui paraissaient encore inaccessibles On commença donc par se loger dans cet asile qui s’offrait à propos : peut-être seulement y fit-on un séjour trop long. Nous avons été toujours étonné qu’un esprit aussi énergique dans sa so-