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condamner, et meurent quand il semble que rien ne les menace. Si, dans l’intervalle des sessions, une question a vivement ému l’opinion publique, c’est une raison pour qu’elle passe à peu près inaperçue dans les chambres ; si une autre question surgit à l’improviste et sans que personne y ait pensé, c’est une raison pour qu’elle grossisse outre mesure. Entre le ministère et l’opposition, il y a toujours d’ailleurs en France des hommes dont le métier est d’empêcher que le débat ne se vide simplement et clairement. Grace à ces hommes, pour peu qu’ils soient avertis, l’ambiguïté envahit toutes les discussions, tous les votes, et leur triomphe est de faire que le lendemain d’une bataille, personne ne sache exactement s’il est vainqueur ou vaincu. Et cependant, comme ces hommes font l’appoint nécessaire, on se voit forcé des deux parts de se plier à leurs équivoques, et d’accepter leurs sous-entendus. Rien de tout cela en Angleterre, où le gouvernement représentatif est quelque chose de sérieux et de réel. Presque toujours on peut donc prévoir, deux mois avant une session, ce qui s’y passera ; deux jours avant un vote, quel sera le chiffre de la majorité et de la minorité.

Une reine qui, comprenant et pratiquant la loi du gouvernement représentatif, accepte les ministres de la majorité sans travailler sous main à les détruire ; un parti vainqueur qui, au lieu de se dissoudre misérablement le lendemain de la victoire, se tient uni et donne à ses chefs toute la force dont ils ont besoin ; un parti vaincu, qui, loin de se décourager et de compter sur le hasard, travaille activement, constamment, à reprendre l’avantage, et combat quatre ans à l’avance pour préparer un succès dont il n’est rien moins que certain ; puis, au-dessous, un pays qui connaît ses droits et qui en use, qui chérit ses libertés et qui force à les respecter, un pays chez qui l’amour du bien-être matériel ne détruit pas tout sentiment de la dignité nationale ou individuelle : voilà le spectacle que nous offre l’Angleterre. Il y a quelques mois, la reine constitutionnelle de cette nation puissante est venue en France, et les hommes d’état qui nous gouvernent ont, dit-on, manifesté au sujet de cette visite une joie un peu puérile. Pour moi, j’ai du droit que mon pays a exercé en 1830 une opinion trop haute pour partager ce sentiment et pour croire que ce droit ait besoin de je ne sais quelle consécration. Je n’ai point non plus oublié 1840, et, si l’échec national que l’Angleterre nous a fait subir à cette époque doit être effacé, c’est, à mon sens, par quelque chose de mieux que par une visite royale. Il est pourtant possible que des intérêts communs renouent dans une cer-