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C’est sans doute cette action formidable du clergé qui inspire à quelques tories l’idée de le gagner par un salaire, dût-il en coûter un million sterling ; mais, outre que pour le parti dévot ce serait une horrible impiété, le clergé lui-même s’y refuse, et ces jours derniers les archevêques et évêques catholiques réunis à Dublin ont renouvelé à cet égard leurs déclarations de 1837 et 1841. Le lendemain, deux adresses étaient votées dans l’association, l’une par les catholiques, l’autre par les protestans, pour les féliciter de cette noble conduite. Le clergé paraît donc résolu à tenir bon pour le rappel, et s’il tient bon, on ne comprend pas bien comment le peuple céderait.

Il y a pourtant contre le rappel de l’union un argument décisif, c’est qu’il est impossible, du moins comme O’Connell l’entend, et sans une guerre sanglante et acharnée. Bien peu de mots, je pense, suffiront pour le prouver. Pendant long-temps, non l’Irlande, mais les Anglais établis en Irlande, ont eu un parlement distinct et séparé. En vertu d’une loi passée sous Henri VII, par le vice-roi Poyning, ce parlement était subordonné au parlement anglais, à peu près comme le sont aujourd’hui les conseils coloniaux. En 1782, au milieu des embarras de l’Angleterre, la grande association des volontaires demanda l’indépendance parlementaire les armes à la main, et l’indépendance parlementaire fut votée. Néanmoins les ministres anglais conservèrent la sanction des lois, le choix du vice-roi et du secrétaire pour l’Irlande. L’Irlande eut donc un pouvoir législatif et un pouvoir exécutif qui ne dépendaient point l’un de l’autre. Pour remédier à cette détestable combinaison, il n’y avait qu’un moyen, la corruption. C’est celui qu’employèrent les ministres anglais, et pendant dix-huit ans, en achetant à beaux deniers comptant la majorité dans les chambres, on maintint à peu près l’harmonie. Voilà ce qu’en 1801 l’union enleva à l’Irlande, et l’on ne peut croire qu’O’Connell ait l’envie de le lui rendre. Que demande-t-il donc ? Est-ce un parlement fédéral, c’est-à-dire un parlement qui ferait les affaires spéciales de l’Irlande, tandis que le parlement impérial, comme le congrès américain, déciderait toutes les questions générales et communes ? C’est l’idée émise par M. Sharman Crawfod ; mais O’Connell l’a souvent combattue et n’a pas eu de peine à démontrer qu’elle est inadmissible. Comment en effet et par qui s’opérerait la séparation entre les questions d’intérêt purement irlandais et les questions d’intérêt britannique ? La question religieuse, par exemple, serait-elle classée dans l’une ou dans l’autre catégorie ? En vérité, cela ne mérite