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LE ROYAUME-UNI ET LE MINISTÈRE PEEL.

l’Irlande était paisible, et O’Connell était réduit au rôle misérable d’un vieux charlatan en enfance. On ne parlait du rappel que pour en rire, et tout tendait à la conciliation. Aujourd’hui l’Irlande s’agite d’une manière formidable. O’Connell est redevenu un géant, et le rappel est menaçant. Comment s’en étonner en présence de la conduite du ministère et de son vice-roi, lord de Grey ? Qu’on cite depuis dix-huit mois un acte, un seul, qui ait pu satisfaire le pays ? O’Connell pourtant faisait la partie belle à sir Robert Peel, quand il lui disait qu’il n’avait pas, quant à lui, plus de goût pour les whigs que pour les tories, et que son appui appartiendrait à toute administration qui rendrait justice à l’Irlande. Rien de plus clair, de plus raisonnable, de plus généreux que ce langage. Comment sir Robert Peel y a-t-il répondu ? Par quelques paroles évasives. Mais en même temps il s’est hâté de nommer aux places les plus hautes et les plus lucratives les ennemis connus de l’Irlande. Pas un catholique qui, sous son administration, ait obtenu la plus légère faveur. On dirait en un mot que sir Robert Peel n’a eu d’autre pensée que celle d’étayer le système pourri de l’orangisme. Est-il étonnant que l’Irlande ait ressenti ce traitement insultant, et qu’au calme ait succédé l’agitation ? Si l’on veut empêcher le rappel de l’union, il faut suivre un tout autre système, et s’occuper sérieusement de conciliation. Cela est plus juste que de supprimer des meetings ou de destituer des magistrats ; cela est plus sûr que d’employer la force, comme des amis imprudens le conseillent au cabinet. »

Je me suis arrêté sur cette opinion du Times, bien que rétractée plus tard, parce qu’elle produisit alors une grande impression. En supposant qu’elle fût partagée par quelques amis du cabinet, la majorité dès-lors se divisait en trois fractions, l’une en faveur de l’immobilité, l’autre en faveur de la coercition, la troisième d’une sage conciliation.

Que faisait cependant O’Connell ? À près de soixante-dix ans, O’Connell, avec la vigueur de la jeunesse et plus d’expérience, commençait une campagne sans exemple et dont n’approche pas celle même de 1829. Tempérant par l’habileté du vieux légiste la hardiesse du tribun, il s’établissait d’abord sur un terrain solide, et prenait l’association centrale de Dublin pour base d’opération. C’est là qu’il préparait ses moyens de défense et d’attaque, qu’il essayait l’effet de ses argumens, qu’il donnait le mot d’ordre à ses lieutenans. C’est là qu’après avoir annoncé qu’il jugeait inutile d’aller prendre sa place à la chambre des communes, il tenait séance à lui tout seul