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LE ROYAUME-UNI ET LE MINISTÈRE PEEL.

rôle qu’il allait jouer. J’en trouve la preuve dans ses lettres, dans ses adresses au peuple irlandais, dans ses discours au sein de l’association. Ce n’est pas qu’il manquât une seule occasion de protester en faveur du rappel, et de le présenter comme le véritable, comme le seul remède aux maux invétérés du pays ; ce n’est pas non plus qu’il ne répétât chaque jour avec affectation qu’il était sûr de son fait, et que le rappel aurait lieu : mais il reconnaissait que le remède était d’une application difficile et pouvait se faire attendre long-temps. Il laissait entendre en outre que, si l’Angleterre le voulait bien, peut-être y aurait-il encore moyen de s’arranger. En un mot, on pouvait conclure de plusieurs de ses paroles que le rappel alors était pour lui plutôt un moyen qu’un but, et que ce moyen même il n’y comptait pas outre mesure.

Quoi qu’il en soit, après un sommeil d’une année, le grand agitateur venait de se réveiller plus infatigable, plus énergique, plus étonnant que jamais. Aujourd’hui c’était un livre pour dénoncer à l’Europe et surtout à l’Irlande toutes les injustices, tous les vices, tous les crimes de la domination anglaise depuis le roi Henri II. Demain c’était une adresse pour promettre au nom du parlement national l’extinction totale de la dîme, l’établissement d’une tenure fixe en faveur des fermiers, l’encouragement et la protection des manufactures nationales, l’abolition de la loi des pauvres, l’extension de la franchise électorale et le scrutin secret. Puis à chaque séance de l’association on l’entendait gémir sur les malheurs de son pays, et lui promettre justice complète, s’il savait la demander avec ensemble et constance. Jusqu’à la fin de mars pourtant le pays ne bougea pas ; mais pendant ce temps la mine se creusait et se chargeait, de sorte que vers le mois d’avril il suffisait d’une étincelle pour qu’elle fît explosion. Un jour, dans une petite ville de l’ouest, l’étincelle jaillit, et dix meetings, en moins d’un mois, apprirent à l’Angleterre étonnée qu’O’Connell et le rappel n’avaient rien de ridicule, et qu’un grand péril était près.

Il est curieux d’observer quelle fut, à cette nouvelle, l’attitude des divers partis. Le parti orangiste, comme on devait s’y attendre, prit l’initiative, et le même jour (au commencement de mai) lord Roden, à la chambre des lords, lord Jocelyn, son fils, à la chambre des communes, interpellèrent le cabinet sur les moyens qu’il comptait employer pour arrêter l’agitation. Le cabinet, avec qui selon toute apparence l’interpellation avait été concertée, répondit qu’il maintiendrait à tout prix l’union des deux pays, et que la reine y était ré-