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tention du gouvernement sans qu’une seule voix la combattit, on devait penser que la chose irait toute seule. Néanmoins M. Cobden et la ligue qu’il dirige s’étant avisés de célébrer ce bill comme un grand triomphe pour leurs doctrines et un premier pas vers l’établissement du droit fixe, le parti agricole prit feu, et plusieurs meetings eurent lieu, entre autres dans le Buckinghamshire, pour condamner comme fatal à l’agriculture le projet ministériel. En vain lord Stanley dépensa-t-il son talent à prouver que ce projet n’avait aucune importance pour l’Angleterre, mais beaucoup pour le Canada. L’effroi fit tous les jours de nouveaux progrès, et il devint évident que plusieurs membres ministériels, voteraient ce jour-là contre le ministère. Les whigs, qui n’étaient pas heureux depuis le début de la session, voulurent, de leur côté, profiter de l’occasion, et firent proposer par M. Labouchère un amendement qui partageait la question en deux, approuvant la réduction à 1 sh. sur le blé canadien, désapprouvant l’établissement d’un droit de 3 sh. sur le blé américain. C’était pour les whigs un jeu habile si ce n’est très loyal. Ils perdirent pourtant la partie, d’une part, parce que plusieurs partisans de la liberté du commerce refusèrent de les aider, de l’autre, parce qu’au moment du danger sir Robert Peel réunit les tories au Carltonclub, et leur déclara nettement que son honneur étant engagé au succès du bill, il tomberait avec lui. Il ajouta que mettre un veto sur une mesure adoptée à l’unanimité par la législature canadienne, c’était témoigner à cette législature un mépris qui serait vivement ressenti et provoquer de nouveaux troubles.

C’étaient de grands moyens pour un bien petit vote. Aussi sir Robert Peel et lord Stanley réussirent-ils à faire rejeter l’amendement Labouchère à 344 voix contre 156. Le bill passa ensuite dans les deux chambres non sans protestation, mais sans difficulté.

Malgré ce succès partiel et chèrement acheté, il faut compter la question des céréales comme une de celles qui, dans la seconde partie de la session, tournèrent contre le cabinet. Dans le parlement, il ne perdit rien, et M. Villiers, ayant fait sa motion annuelle pour l’abolition de tout droit sur les céréales, cette motion fut rejetée par 381 voix contre 125. Hors du parlement, il en fut tout autrement. Depuis que M. Cobden, riche manufacturier du Lancashire, s’était mis à la tête de la ligue contre la loi des céréales, cette ligue, on le sait, avait fait des progrès considérables et menacé sérieusement la quiétude des propriétaires fonciers. Depuis quelque temps, d’ailleurs, M. Cobden ne s’adressait plus seulement aux classes industrielles,