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en péril et compromit un moment le cabinet. Avec un zèle aussi politique que religieux, on rechercha quel était ce temple de Somnauth auquel le gouverneur chrétien de l’Inde s’apprêtait à rendre hommage, et on découvrit avec horreur, avec effroi, que ce temple « desservi par 2000 brahmines, 900 musiciens, 300 barbiers, et 500 danseuses, toutes très jolies, était consacré à une divinité sanguinaire, et servait de théâtre aux plus abominables débauches. » Ce fut alors contre lord Ellenborough et sa proclamation un concert d’imprécations dévotes auxquelles la voix pieuse des whigs ne manqua pas de se mêler. Au milieu de cette sainte clameur, quelques profanes se hasardèrent bien à faire remarquer qu’au crime de relever les autels de Juggernauth, la cérémonie des portes pouvait ajouter l’inconvénient de mécontenter les populations musulmanes, c’est-à-dire vingt millions de sujets anglais dans l’Inde ; mais c’était là le petit côté de la question. En attaquant comme impolitique la proclamation de lord Ellenborough, on ne pouvait espérer d’enlever au ministère une seule voix dans le parlement. En l’attaquant comme irreligieuse, on avait la chance d’avoir pour soi les évêques à la chambre des lords, sir Robert Inglis et son parti à la chambre des communes. Faut-il s’étonner que le paganisme de lord Ellenborough ait réveillé tant de sentimens chrétiens et défrayé pendant trois mois tous les journaux de lord Palmerston ?

Il y avait pourtant là quelque chose d’assez singulier et un renversement à peu près complet des rôles ordinaires. Ainsi, supposez que lord Ellenborough se fût nommé lord Auckland, et que ce dernier eût signé la fameuse proclamation, quels cris de douleur chez les tories, et quelle superbe ironie chez les whigs ! Au lieu de cela, c’était aux whigs à gémir, aux tories à se moquer ; aux whigs à exciter le zèle du banc des évêques, aux tories à le contenir ; aux whigs enfin à partager la pieuse susceptibilité de sir Robert Inglis et de M. Plumptree, aux tories à s’en séparer. C’est ainsi que, dans la mêlée politique, les partis se trouvent quelquefois amenés à faire entre eux l’échange de leurs opinions les plus enracinées, de leur langage le plus habituel.

Quoi qu’il en soit, quand le parlement s’ouvrit, le ministère était inquiet et l’opposition pleine de confiance. Dès la première séance, lord John Russell et lord Palmerston annoncèrent qu’ils appelleraient l’attention de la chambre sur la conduite de lord Ellenborough, et sir Robert Inglis se leva aussitôt pour les soutenir. Peu de jours après. M. Vernon Smith alla plus loin encore, et, toujours avec l’appui de