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REVUE. — CHRONIQUE.

médiatement après vient l’adagio de Duprez. Il y avait sans doute quelque hardiesse à terminer un acte par un mouvement si calme et si posé. Toutefois, l’essai devait réussir, car la phrase est fort belle, et Duprez met à la rendre une admirable ampleur de style. Bien qu’il abuse de la voix de tête, ressource ordinaire des chanteurs épuisés, Duprez retrouve par intervalles dans cet opéra des élans dignes de ses plus glorieuses soirées. On s’aperçoit qu’il est à l’aise dans cette musique si commode au virtuose, ingénieuse à déguiser les avantages qui lui manquent, non moins qu’à produire au jour le plus favorable ceux qu’il a conservés. Du reste, la présence de M. Donizetti se fait sentir partout, chez Mme Stolz comme chez M. Massol, dont l’organe fruste et peu malléable s’assouplit du moins pour quelques heures, et vous respirez dans ces ensembles mieux groupés, dans ces voix désormais plus contenues, l’influence harmonieuse et salutaire du maître italien.

Au troisième acte, la scène où le caractère de l’émir africain, jusque-là maintenu dans l’ombre, se démasque tout à coup, est d’un effet hardi et saisissant. On n’imagine rien de plus dramatique et de plus fortement accentué que ce duo dans lequel Abayaldos dévoile à Zaïda le secret de sa jalousie et de sa haine. Couleur et passion, tout y est. Il faudrait recourir au rôle d’Henri VIII dans Anna Bolena pour trouver chez M. Donizetti des inspirations de cette énergie. Nous disions tout à l’heure que le personnage du Camoëns était manqué ; en revanche, le musicien nous semble avoir admirablement compris le caractère d’Abayaldos, physionomie originale et colorée à la manière des bédouins de Decamps. Il y a de l’africain dans cette passion qui ronge son frein, dans cette rage contenue et froide qui marche sourdement à sa vengeance et n’éclate qu’à deux reprises : dans le duo dont nous parlons et dans la phrase si dramatique du sextuor du quatrième acte, une fois pour prévenir sa victime, l’autre pour l’écraser. Nous citerons encore, mais surtout comme situation musicale dont on doit faire honneur à M. Scribe, la scène où Camoëns proscrit, réduit à mendier la nuit dans une rue de Lisbonne, tend la main au roi Sébastien. C’était là, sans aucun doute, une donnée intéressante pour le musicien, et l’on ne peut que regretter que M. Donizetti n’en ait point su tirer meilleur parti : non que le morceau tel qu’il existe soit tout-à-fait médiocre, l’adagio du début, qui rappelle une admirable phrase d’Alaïde dans la Straniera, ne manque pas d’un certain pathétique ; mais il s’en faut que le second mouvement réponde au premier, et somme toute, d’un musicien tel que M. Donizetti, en si belle occasion on devait attendre mieux. La scène des funérailles est traitée d’un bout à l’autre de main de maître. J’aime ces tambours voilés qui répondent à l’appel lugubre des clairons pendant que le cortége défile ; plus tard la complainte du chœur a de la mélancolie et de la grace, et bien que çà et là plus d’une réminiscence du finale d’Otello s’y rencontre, on ne peut s’empêcher d’admirer l’art prodigieux avec lequel toute cette pompe musicale est ordonnée.

Le quatrième acte contient sans contredit le plus beau morceau de l’ouvrage. Le célèbre crescendo, si familier à M. Donizetti, éclate là dans toute