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langue partout comprise, il exploite un marché bien autrement étendu. On doit dire aussi qu’il possède d’admirables qualités, entre autres une intelligence des voix que peu d’italiens même ont eue, et, chose rare chez un Napolitain ! une véritable vocation pour l’orchestre ; n’étaient ses mélodies la plupart du temps banales et lâchées, on ne sentirait pas la hâte dans ses travaux tant sa touche instrumentale a de largeur, tant cette manière d’estomper, s’il est permis de s’exprimer ainsi, a de verve et de brillant.

Le premier acte de Dom Sébastien ne renferme rien qu’on puisse remarquer à bon droit. Sauf une phrase de Zaïda au moment où le roi l’arrache aux mains de l’inquisition, laquelle phrase, pour revenir si souvent dans l’ouvrage, devrait avoir une expression plus caractérisée, le prologue tout entier passerait inaperçu ; car je ne pense pas que M. Donizetti lui-même prenne au sérieux ce beau délire où son Camoëns se laisse emporter à la dernière scène. Vouloir faire d’un poète moderne, du chantre des Lusiades, une espèce de Calchas, dont le poil se hérisse, et prédisant au demi-jour de la rampe les désastres de la campagne qui va s’ouvrir, c’est là certainement une des imaginations les plus bouffonnes dont on se soit jamais avisé. Entre le vieux Tiresias, ce prince des devins antiques, et le poète portugais, je ne vois guère qu’un point de ressemblance, à savoir que l’un fut aveugle et l’autre borgne : et encore est-il douteux que l’œil crevé du Camoëns puisse jamais avoir pour nous la moitié du sens que la symbolique des Grecs attribuait à la cécité du nécroman thébain. Ajoutez à cette pantomime échevelée une musique à faire danser les ours, et vous aurez peut-être une idée de cette scène de trépied renouvelée d’Éleusis et de Délos. Du reste, le rôle du Camoëns est manqué complètement dans la partition de M. Donizetti ; aussi quel triste canevas M. Scribe lui donnait à couvrir ! Le seul parti qu’un musicien quelque peu penseur eût à prendre en pareil cas, c’était de reconstruire le rôle de fond en comble, et de ne garder que le nom du personnage, comme a fait M. Meyerbeer dans mainte occasion. Voyez-vous, en effet, cette austère et noble figure du soldat poète travestie tantôt en Joad, tantôt en orateur parlementaire, et débitant des lieux communs empruntés au vocabulaire politique des journaux de ce temps :

Je chante le malheur et non pas le pouvoir.

Autant vaudrait mettre en musique les harangues du maire de Montmartre. Pour arriver aux passages franchement recommandables de Dom Sébastien, il nous faudra aussi sauter à pieds joints sur le ballet, l’un des plus médiocres qu’on ait jamais vus à l’Opéra, au point que l’on se demande si c’est la vulgarité de la musique qui réagit sur les danses, ou si ce sont les danses qui écrasent la musique sous leur désolante monotonie : grave question à débattre entre le maestro et l’ordonnateur de l’intermède. La première chose qui vous frappe dans le courant de l’ouvrage est un chœur à motif fugué, d’une rude et sauvage expression, au moment où les Arabes, conduits par Abayaldos, leur chef, renvoient dans sa patrie dom Sébastien vaincu. Im-