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ÉTUDES SUR L’ANGLETERRE.

toutes les prédispositions du talent, d’un talent rare et vrai, auquel il n’a manqué que la sobriété, la règle, la discipline : cette vocation, cette aptitude directe, ne me paraissent pas aussi natives, aussi originelles chez M. Frédéric Soulié. Il y a infiniment de choses, j’en suis convaincu, que M. Soulié eût faites avec autant de goût, avec autant de prédilection qu’il fait de la littérature. Le talent, en effet, de l’auteur des Mémoires du Diable est surtout un talent extérieur : sa force bien souvent n’est que de la brutalité ; c’est par la terreur, par le mystère, par l’inconnu, qu’il cherche, qu’il réussit à éveiller la curiosité ! Quand je le lis en simple lecteur et que je m’abandonne à lui, c’est bien plutôt de mes sens qu’il s’empare que de mon esprit. M. Soulié n’a jamais rien compris aux délicatesses littéraires ; le parfum léger de la Muse, l’agrément, ce je ne sais quoi d’acquis que je n’essaierai pas de définir, mais qui se rencontre chez les vrais écrivains et qui vous arrive au détour d’une période, comme une bouffée de senteur venue des buissons au tournant d’un bois, tout cela est absolument étranger à M. Frédéric Soulié. Naguère encore M. Soulié avait l’art incontestable de surexciter incessamment l’intérêt par l’inattendu des combinaisons, par l’émotion du drame, par un certain entraînement de conteur rapide et inépuisable. Aujourd’hui l’excès, le perpétuel contact avec le public, ont amené la lassitude ; et quelles forces, en effet, pourraient suffire à cet interminable voyage, à ce pèlerinage sans fin, auxquels les romanciers de nos jours se sont condamnés comme Ahasvérus ? Le talent de M. de Balzac s’est vicié et gâté par une complication de maladies longues et difficiles à décrire ; chez M. Soulié, ce n’est rien autre chose que l’épuisement produit par l’extrême fatigue.

On raconte que nos bons aïeux les Gaulois étaient si avides de récits, si curieux d’histoires, qu’ils arrêtaient les voyageurs et les forçaient à dire quelque conte. Le feuilleton, aujourd’hui, est à peu près comme nos pères, et M. Soulié me paraît être dans la position du pèlerin dont on s’emparait pour le contraindre à raconter sa fable ou sa légende ; évidemment le fécond auteur des Mémoires du Diable est aux abois : les sujets manquent à son improvisation, la terre se dérobe sous ses pieds. Les Mémoires du Diable ont été une espèce d’effort suprême, dans lequel M. Soulié a entassé l’action, les intrigues, les imbroglios, les combinaisons sans fin. Aujourd’hui, il est, comme le lendemain d’un grand excès, dégoûté, lassé, engourdi ; les grosses machines lui sont difficiles à remuer : ainsi on l’a vu, dans la Confession générale, vouloir recommencer les Mémoires du Diable, et la gageure lui a été impossible à tenir. Voici quatre ans bientôt qu’ici même nous parlions des premiers volumes de la Confession générale, et, à l’heure qu’il est, les derniers tomes de cette inextricable histoire n’ont pas encore paru. Maintenant, M. Soulié commence et n’achève plus : c’est ce qui arrive encore en ce moment pour un roman appelé : Huit jours au château, lequel figure dans la collection des Mystères de la Province, et jusqu’ici est resté incomplet.

Il semble assez difficile de lire et surtout de juger un livre qui n’est pas