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style est lourd, épais ; il n’a plus rien de la fraîcheur des premières années, il sent la fatigue, il trahit incessamment l’effort. C’est M. de Balzac lui-même qui, dans son langage choisi, compare certains talens éreintés à ces ténors qui ont baissé d’une note et que lésinent dès-lors les directeurs de théâtre. L’allusion semble transparente : elle n’échappera certainement qu’à M. de Balzac. Quand on est un maréchal de France littéraire, c’est un fâcheux dénouement que de devenir l’obscur collaborateur des Mystères de la Province, et, dans cette concurrence collective faite à M. Sue, de n’avoir pas à détacher de la grande œuvre de la Comédie humaine une autre page que la laide histoire d’une petite fille qui est voleuse par dépit et faussaire par haine amoureuse. Décidément, je crois que le ténor a baissé d’une note.

L’ambition de peindre la société tout entière et de construire à lui seul une œuvre qui, dans son ensemble, corresponde à l’humanité même, telle est toujours l’idée fixe que poursuit M. de Balzac, telle est la chimère à laquelle il tient chaque jour davantage ; c’est sa recherche de l’absolu, et on serait très mal venu à ne pas la prendre au sérieux. Pour ma part, je serais seulement curieux de savoir à quel type, à quel caractère humain correspondra, dans cette classification générale, le personnage de Rosalie : le plus sage peut-être serait de la ranger au chapitre des rêves, entre les créations purement fantastiques. — Dans David Séchard, il n’y a plus de mythe, et le but auquel a visé M. de Balzac est infiniment plus clair : c’est tout bonnement l’histoire, la vieille histoire du génie incompris. Déjà M. de Vigny, dans son éloquent plaidoyer de Chatterton, avait voulu nous intéresser aux secrètes souffrances d’un poète, d’un homme qui, selon la foule, ne savait faire autre chose qu’aligner des lignes noires sur du papier blanc. M. de Balzac tente de raffiner là-dessus et nous montre les misères de l’inventeur dans une autre sphère, à un degré inférieur. L’inventeur, cette fois, n’écrit plus sur du papier, mais il fait du papier, et nous n’en sommes pas moins tenus d’admirer, sans mot dire, la hauteur de son génie. On fait, dit-on, là-dessus un vaudeville, une parodie qui pourra être spirituelle, et qui s’appellera : David Séchard ou les Souffrances du Papetier.

L’histoire de ce Séchard n’est pas longue à dire. C’est un imprimeur d’Angoulême, qui néglige son métier pour poursuivre la découverte commencée d’une papeterie économique, laquelle fera révolution dans l’industrie. La femme de Séchard, Ève, une créature dévouée, aimante, pleine de foi dans son mari, la seule qui croie à son génie, à sa prédestination, à l’avenir, Ève fait des efforts sublimes d’activité et de résignation. Tandis que Séchard cherche la pierre philosophale dans son mystérieux atelier, elle dirige l’imprimerie, elle invente mille expédiens pour prévenir la ruine de la maison. Mais les évènemens sont plus forts qu’elle ; une faillite est imminente. Les frères Cointet, imprimeurs d’Angoulême et rivaux cupides de Séchard, ont juré sa ruine et veulent à tout prix s’emparer du trésor qu’il est sur le point de trouver. Enveloppé par eux dans un réseau d’affaires, de procédures, de