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en partie par les excès et l’intempérance d’aujourd’hui ! combien ne serait-il pas triste d’être à la fin ramenés vers ces procédés factices, vers cette poésie brillantée et de convention, dont on pouvait croire le régime à jamais fini !

C’est la même chose, c’est bien pis encore pour le roman. Le roman, qui, en faisant naguère les délices de nos loisirs, faisait aussi la gloire de notre littérature, se compromet de plus en plus par toute sorte de déportemens, lesquels s’affichent avec d’autant plus d’impudence, qu’on les signale avec moins de rigueur. Ici, qu’on le remarque, ce ne sont plus seulement, comme pour la poésie, des instincts mauvais de l’esprit, des causes purement morales qui pervertissent le talent : il n’y a plus seulement à dénoncer la vanité qui traîne après elle la négligence, l’obstination que suit forcément la bizarrerie, tous les leurres enfin qui accompagnent le dédain des conseils et la substitution fatale de l’improvisation à la sobriété et aux patiens labeurs. D’autres et de plus fâcheux élémens de décadence, des raisons d’abaissement bien autrement intimes et beaucoup trop souvent personnelles, auraient besoin d’être signalés en détail aux sévères jugemens du public. C’est là, il en faut convenir une grande et très sérieuse difficulté pour ceux qui jugent : en mêlant de si près le faste et le bruit de leur vie au tumulte de leurs œuvres, en confondant sans cesse l’homme avec l’écrivain, en faisant leurs compositions tout-à-fait solidaires de leur biographie, certains romanciers ont fait des appréciations littéraires et de l’art du critique une tâche véritablement délicate et épineuse. Si l’on voulait être tout-à-fait vrai, si on voulait chercher expressément la cause secrète de telle accumulation besogneuse de livres médiocres, le motif de tel avortement continu, de telle chute prématurée, il faudrait trop fréquemment toucher aux personnes et introduire dans la scrupuleuse exactitude des comptes rendus certaines insinuations bonnes pour les pamphlets. Avec les poètes, du moins, on n’a pas à sortir des nobles sphères de l’esprit ; le vertige de l’amour-propre peut les perdre, mais ce n’est là, après tout, que l’exagération d’une qualité réelle et qui n’est pas sans noblesse, le sentiment de la dignité. Ici, sans compter ces perfides suggestions de la vanité qui ont bien aussi leur part, il faudrait de plus accorder une place très notable à des motifs fort peu littéraires. Derrière l’orgueil, en effet, se cachent les intérêts du métier, et sous la fécondité de l’auteur je devine les calculs de l’industriel. Par leur nature même, on le comprend, ces sortes de remarques ne peuvent être que très générales : la politesse veut que chacun n’ait à se les appliquer que dans les monologues de sa conscience. C’est l’affaire du public d’ailleurs de faire les lots.

Il est arrivé au roman ce qui arrive aux conquérans : le succès l’a perdu. Quoi qu’on en puisse dire dans certaine préface, ce n’est pas encore un lieu commun de déplorer la pernicieuse influence exercée par la publicité quotidienne et fragmentaire des journaux sur les œuvres d’imagination ; quand ce sera un lieu commun, comme il est évident que les lieux communs sont vrais, le public, par son indifférence, forcera bien les écrivains à abandonner cette