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bientôt à ses dépens ce que c’est que d’avoir affaire à des pédans, de plus théologiens, surtout à un ordre tout entier et à des moines. Quand on est sage, règle générale, il ne faut jamais se mettre sans nécessité telles gens à robe noire à ses trousses. Si je l’osais, j’en donnerais le conseil même aujourd’hui encore à mes brillans amis. Du temps de Naudé, on en vint d’emblée aux injures. Il y avait dès-lors un Dom Robert Quatremaire (n’était-il pas de la famille de M. Étienne Quatremère ?) qui en disait. Naudé eut le tort d’y céder et d’y répondre. Tout cela se passait à propos du plus clément et du plus miséricordieux des livres, autour de l’Imitation. Ajoutez que, dans cette querelle de Naudé et de Dom Quatremaire, on ne savait pas très bien le français de part et d’autre, ou du moins on ne savait que le vieux français ; les injures en étaient d’autant plus grosses. Il en résulta même des méprises singulières. Naudé, s’en prenant à un bénédictin italien, le père Cajetan, qui était petit et assez contrefait, l’avait appelé rabougri ; les bénédictins de Saint-Maur ne se rendirent pas bien compte du terme, et le confondirent avec un bien plus grave qui a quelque rapport de son. Ces vénérables religieux en demandèrent réparation en justice comme d’une appellation infâme. La naïveté prêta à rire. Naudé lui-même porta plainte en diffamation devant le parlement ; on a son factum (Raisons péremptoires, etc., 1651) ; je le voudrais supprimer pour son honneur. Sur ce terrain-là, il n’a pas son esprit habituel : ce n’est plus qu’un savant du XVIe siècle en colère. Il prit pourtant occasion de sa défense pour dresser une liste et kyrielle, comme il les aime, de toutes les falsifications, corruptions de pièces, tricheries, qu’on imputait aux bénédictins dans les divers âges. En poussant cette pointe, il a, sous air pédantesque, sa double malice cachée, et il infirme plus de choses ecclésiastiques qu’il ne fait semblant. On assure qu’il eut alors les rieurs de son côté ; mais il dut être au fond mécontent de lui-même : le philosophe en lui avait fait une faute[1].

La seconde Fronde lui laissait peu d’espoir de recouvrer sa condition première ; il accepta d’honorables propositions de la reine Christine, et partit pour la cour de Stockholm, où il fut bibliothécaire durant quelques mois. Cette cour était devenue sur la fin un guêpier de savans qui s’y jouaient des tours ; Naudé n’y tint guère. Il était

  1. On peut voir, si l’on veut, sur cette sotte et désagréable affaire, la Bibliothèque critique de Richard Simon, tome I, et aussi le tome I des Ouvrages posthumes de Mabillon. — Dom Thuillier, bénédictin, y prend une revanche sur Naudé.