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MORALISTES DE LA FRANCE.

pour mieux dire, à cette fameuse bibliothèque, quand je vous aurai dit, pour vous représenter en peu de mots l’abrégé de ses perfections, que c’est la plus belle et la mieux fournie de toutes les bibliothèques qui ont jamais été au monde et qui pourront, si l’affection ne me trompe bien fort, y être à l’avenir. » — Et il finit en répétant les vers attribués à Auguste, lorsque celui-ci décida de casser le testament de Virgile plutôt que d’anéantir l’Énéide :

Frangatur potius legum veneranda potestas
Quam tot congestos noctesque diesque labores
Hauserit una dies, supremaque jussa Senatus
 !

La vente se fit pourtant, bien qu’avec de certains accommodemens peut-être. Naudé en racheta pour sa part tous les livres de médecine, et il paraît qu’il y eut des prête-noms du cardinal qui en sauvèrent d’autres séries tout entières. Du moins M. Petit-Radel a beaucoup insisté sur ces rachats concertés qu’il démontre avec chaleur, comme si son amour-propre d’administrateur et d’héritier y était intéressé. Quoi qu’il en soit, le coup était porté pour l’auteur même ; l’intégrité et l’honneur de l’œuvre unique avaient péri. « On vend toujours ici la bibliothèque de ce rouge tyran, écrit Guy Patin (30 janvier 1652) ; seize mille volumes en sont déjà sortis ; il n’en reste plus que vingt-quatre mille. Tout Paris y va comme à la procession : j’ai si peu de loisir que je n’y puis aller, joint que le bibliothécaire qui l’avoit dressée, mon ami de trente-cinq ans, m’est si cher, que je ne puis voir cette dissolution et destruction… » Il fallait que Guy Patin aimât bien fort Naudé pour s’attendrir à l’endroit d’une disgrace arrivée au Mazarin.

Les malheurs ne viennent jamais seuls ; Naudé en eut un autre en ces années. Étant autrefois à Rome, il avait été consulté et avait donné son avis sur des manuscrits de l’Imitation de Jésus-Christ que les bénédictins revendiquaient pour un moine de leur ordre, Gersen ; il n’était pas de leur avis, et avait jugé les manuscrits quelque peu falsifiés. Son témoignage en resta là et sommeilla quelque temps. Mais bientôt les chanoines réguliers de Saint Augustin, qui revendiquaient l’Imitation pour Akempis, c’est-à-dire pour leur saint, comme les bénédictins pour le leur, introduisirent l’autorité et l’acte de Naudé dans la discussion. Il y intervint lui-même par de nouveaux écrits publics. Courier, avec son fameux pâté sur le manuscrit de Longus, sut ce que c’est que d’avoir affaire à des pédans antiquaires et chambellans ; Naudé, si prudent, si modéré, apprit