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pareil espace de temps des histoires que l’on ne jugeroit jamais, à cause d’une infinité de rencontres et d’incidens, avoir été faites dans l’espace de vingt-quatre heures… Et puis, si le Timée, le Gorgias, le Phédon, et les dialogues de Republica et de Legibus de Platon, quoiqu’ils soient bien plus longs que les nôtres, ont bien été faits en un jour…, pourquoi ne voudra-t-on pas que nous ayons dit, depuis cinq heures du matin jusques à sept heures du soir, ce que, s’il étoit imprimé, il ne faudroit guère davantage de temps pour lire ?… » Il en faut un peu plus, quoi qu’il en dise ; et, avec notre dose d’attention d’aujourd’hui, ne vient pas à bout qui veut de ce gros in-4o immense. C’est pourquoi nous y avons tant insisté[1].

La seconde Fronde vint renverser encore une fois la fortune de Naudé et lui porter au cœur le coup le plus sensible, celui qu’un père eût éprouvé de la perte d’une fille unique, déjà nubile et passionnément chérie. L’arrêt du parlement de Paris qui ordonnait la vente de la bibliothèque du cardinal lui arracha un cri de douleur et presque d’éloquence. Dans un Advis imprimé (1651) à l’adresse de nos seigneurs du parlement, il exhale les sentimens dont il est plein : « … Et pour moi qui la chérissois comme l’œuvre de mes mains et le miracle de ma vie, je vous avoue ingénuement que, depuis ce coup de foudre lancé du ciel de votre justice sur une pièce si rare, si belle et si excellente, et que j’avois par mes veilles et mes labeurs réduite à une telle perfection que l’on ne pouvoit pas moralement en désirer une plus grande, j’ai été tellement interdit et étonné, que si la même cause qui fit parler autrefois le fils de Crésus, quoique muet de sa nature, ne me délioit maintenant la langue pour jeter ces derniers accens au trépas de cette mienne fille, comme celui-là faisoit au dangereux état où se trouvoit son père, je serois demeuré muet éternellement. Et en effet, messieurs, comme ce bon fils sauva la vie à son père, en le faisant connoître pour ce qu’il étoit, pourquoi ne puis-je pas me promettre que votre bienveillance et votre justice ordinaire sauveront la vie à cette fille, ou,

  1. M. Artaud, dans son ouvrage sur Machiavel (t. II, p. 336-350), cite un ouvrage manuscrit français qui est une apologie remarquable de l’illustre Florentin, et il se dit tenté de l’attribuer à Gabriel Naudé. Mais, sans parler des autres objections, comme cette apologie ne put être composée que vers ou après 1649, Naudé eut bien assez à faire, en ces années, avec son Mascurat d’abord, puis avec les tracas et calamités qui vont l’envahir, pour qu’on ne puisse lui imputer un travail dont on ne verrait d’ailleurs pas le but sous sa plume.