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Parmi les singularités de ce traité sur les Coups d’État, on a remarqué qu’il commence par mais, comme le Moyen de Parvenir commence par car. Naudé faisait nargue à la rhétorique dès le premier mot.

Parmi les opinions particulières qui ne font faute, est celle qui range dans les inventions des coups d’état la venue de la Pucelle d’Orléans, « laquelle, ajoute Naudé en passant, ne fût brûlée qu’en effigie. » Il ne daigne pas s’expliquer davantage. Guy Patin va plus loin et nous dit que, loin d’être brûlée, elle se maria et eut des enfans[1]. Naudé se complaisait un peu à ces sortes d’opinions paradoxales, et il admettait très aisément la mystification du vulgaire en histoire. Il aurait cru volontiers au mariage secret de Bossuet comme il croyait au brûlement postiche de la Pucelle. C’est là un faible dans cet esprit si sain. À force de chercher finesse, on s’abuse aussi.

« Qui peut savoir et dire ce qu’arrive à penser sur toute question fondamentale un homme de quarante ans prudent, et qui vit dans un siècle, et dans une société où tout fait une loi de cette prudence ? » Naudé n’oubliait jamais cette pensée en lisant l’histoire ; il en faisait surtout l’application aux grands esprits cultivés depuis la renaissance des lettres, et ce qu’il avait en Italie sous les yeux l’y confirmait. Dans cette familiarité du cardinal de Bagni et des Barberins, il dut être de ceux qui trouvent, après tout, que c’eût été un bel idéal que d’être cardinal romain dans le vrai temps. Lui qui n’était pas philosophe ni protestant à demi, il jugeait qu’il y avait plus de place encore pour des opinions quelconques sous la noble pourpre flottante de ses

    licencié sur le compte de Naudé en je ne sais quelles paroles et imputations qui pouvaient avoir de la gravité. La lettre de Naudé à Peiresc, datée de Riète, 30 juin 1636, nous montre plus que nous ne voudrions l’irritation de l’offensé et son jugement secret sur l’homme qu’il avait tant admiré et célébré publiquement. On y a l’envers complet de tout à l’heure. Campanella y est taxé d’ingratitude, de légèreté, de charlatanisme effronté et d’insupportable orgueil ; ce sont les inconvéniens de plus d’un grand esprit, et on en a connu de tout temps qui avaient peu à faire pour tomber dans ces défauts-la. Naudé, qui n’avait admiré qu’une seule fois avec cette ferveur, et qui s’en trouvait dupe, jura sans doute qu’on ne l’y reprendrait plus. Il faut toutefois qu’il soit revenu à des sentimens plus favorables à son ancien ami, puisqu’il ne fit imprimer le Panégyrique dont nous avons parlé qu’en 1644, pour prêter hautement secours à la mémoire de Campanella mort (beatissimis Thomœ Campanellœ Manibus) contre de certaines calomnies dont elle venait d’être l’objet. Le Panégyrique imprimé et la lettre manuscrite n’en font pas moins le plus sanglant contraste, et donnent une rude leçon au biographe littéraire qui se fierait avec candeur à ce qu’on imprime.

  1. Voir sur cette version le Mercure galant de novembre 1683.