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torité des cheveux blancs, enfin des têtes de vieillards. Les amateurs de tableaux en mettent toujours dans leur cabinet. Il faut qu’un connaisseur en livres, en mette dans sa bibliothèque. » Nulle part ce que j’appellerai l’idéal du vieux livre renfrogné, l’idéal du bouquin, n’a été mieux exprimé qu’en cette page heureuse ; mais M. Joubert y parle surtout au nom de l’amateur qui veut lire. Il y a celui qui veut posséder. Pour ce dernier, le goût des livres est une des formes les plus attrayantes de la propriété, une des applications les plus chères de cette prévoyance qui s’accroît en vieillissant ; il a ses bizarreries et ses replis à l’infini, comme toutes les avarices. Les tours malicieux, les ruses, les rivalités, les inimitiés même qu’il engendre, ont quelque chose de surprenant et de marqué d’un coin à part. On a observé que les haines entre bibliothécaires ont également quelque chose de sourd, de subtil, de silencieux, comme le ver qui ronge et pique les volumes. Mais nous sommes loin de tous ces vices et de ces raffinemens avec Naudé, qui a la passion dans sa noblesse, dans sa vérité première et dans sa franchise.

Naudé n’estime les bibliothèques dressées qu’en considération du service et de l’utilité que l’on en peut recevoir. Concevant cette utilité dans le sens le plus large et le plus philosophique, il propose le plan d’une bibliothèque universelle, encyclopédique, qui comprenne toutes les branches de la connaissance et de la curiosité humaines, et dans laquelle toutes sortes de livres sans exclusion soient recueillis et classés. De plus, il la veut publique moyennant de certaines précautions, et il sait intéresser à cette publicité, par d’adroits chatouillemens, la vanité des Pollion et des Mécènes. Il n’y avait à cette époque en Europe que trois bibliothèques véritablement publiques, la Bodléenne à Oxford, l’Ambroisienne à Milan, et celle de la maison des Augustins ou l’Angélique, à Rome, tandis que dans l’ancienne Rome on en avait compté vingt-neuf selon les uns, trente-sept suivant les autres. En France, à Paris, parmi les riches bibliothèques alors renommées, y compris celle du roi, il n’y en avait aucune qui répondit au vœu de Naudé, c’est-à-dire qui fût ouverte à chacun et de facile entrée, et fondée dans le but de n’en dénier jamais la communication au moindre des hommes qui en pourra avoir besoin. Ce fut son innovation à lui, son instigation active. Il y poussait dès-lors le président de Mesmes ; vingt ans après il y convertissait le cardinal Mazarin et avait la satisfaction, vers 1648, à la veille même de la Fronde, de voir la merveilleuse bibliothèque amassée et ordonnée par ses soins s’ouvrir le jeudi à tous les hommes d’étude qui s’y présenteraient. Par