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il est évident qu’en toute matière, civile du moins et naturelle, Naudé fait volontiers une double part, l’une de la sottise et de la crédulité des masses, l’autre de la singulière industrie de quelques habiles. Il croit surtout à la crédulité humaine, et s’en retire en répétant pour son compte :

.....Credat Judaeus Apella,
Non ego.
..........

La science humaine dans tout son fin et son retors et son déniaisé pour parler comme lui, voilà l’objet propre, le champ unique de Naudé. J’allais ajouter qu’il y a une chose à laquelle il n’a rien compris et dont il ne s’est jamais douté, pour peu qu’elle existe encore, c’est l’autre science, celle du Saint et du Divin ; et qu’il semble tout-à-fait se ranger à cet axiome volontiers cité par lui et emprunté des jurisconsultes : Idem judicium de iis quæ non sunt et quæ non apparent, ce qu’on ne peut saisir est comme non avenu et mérite d’être jugé comme n’existant pas[1]. Mais j’irais trop loin en parlant ainsi ; on ne saurait trop se méfier de ces jugemens absolus en telle matière, et l’Apologie renferme sur Zoroastre, Orphée et Pythagore, sur toutes ces belles ames calomniées, ces génies des lettres,

Omnes cælicolas, omnes supera alta tenentes,

des pages élevées, presque éloquentes, qui indiquent chez lui le sentiment ou du moins l’intelligence du Saint plus que je n’aurais cru. Il pense avec Montaigne trop de bien de Plutarque, il l’estime trop hautement le plus judicieux auteur du monde, pour être entièrement dénué d’une certaine connaissance religieuse dont Plutarque a été comme le dépositaire et le suprême pontife chez les païens. Bien que cette disposition reparaisse très peu chez Naudé, et que je doive avec lui la négliger dans ce qui suit, qu’il me suffise d’en avoir marqué l’éclair et d’avoir entrevu de ce côté comme un horizon.

Deux ans après l’Apologie il donna un petit opuscule qui nous sied mieux et où il se peint directement dans son vrai jour : Advis pour dresser une Bibliothèque, présenté à M. le président de Mesmes (1627). Composé, on le voit, en vue d’un patron, comme la plupart de ses autres écrits, celui-ci du moins nous traduit la plus chère des

  1. « Les eaux de Sainte-Reine ne font point de miracles. Il y a long-temps que je suis de l’avis de feu notre bon ami M. Naudé, qui disoit que, pour n’être trompé, il ne falloit admettre ni prédiction, ni mystère, ni vision, ni miracles. » Guy Patin. Nouvelles Lettres à Spon, t. II, p. 183).