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e tutti, n’étaient point des sorciers ni des magiciens au sens vulgaire, et que, s’ils peuvent s’appeler mages, c’est suivant la signification irréprochable et pure de la plus divine sagesse. On a besoin pour comprendre que ce livre de Naudé a été utile et presque courageux, de se représenter l’état des opinions en France au moment où il parut. On était alors dans une sorte d’épidémie de sorcellerie entre le procès de la maréchale d’Ancre et celui d’Urbain Grandier. Ce courant de folles idées, ce souffle aveugle dans l’air, attisait plus d’un bûcher. Atrocité ici, mauvais goût là. On mêlait les sorciers à tout, même aux élégies d’amour, et non pas, croyez-le bien, à la façon de l’antiquité. Ogier, à vingt ans, composait une héroïde à l’imitation d’Ovide sur la sotte histoire que voici et qui courait, dit-il, tout Paris : « Un M. de F., après des recherches passionnées, épouse Mlle de P., fille de beaucoup de mérite, mais peu accommodée des biens de la fortune, puis incontinent après son mariage l’abandonne lâchement. Ses parens favorisent son divorce, disent qu’il a été ensorcelé, etc. » C’étaient là les sujets à la mode, les gentillesses dans les belles compagnies. Le XVIe siècle, si grand et si fertile qu’il eût été pour les esprits des doctes et pour les penseurs, avait laissé au vulgaire et, pour parler plus simplement, au public, toute sa rouille : il ne l’avait pas civilisé. Le public, à son tour, on peut le dire, n’avait pas civilisé non plus les savans. Scaliger et Cardan, les deux plus grands personnages modernes selon Naudé, les deux seuls qu’on pût opposer aux plus signalés des anciens, avaient poussé le plagiat de l’antiquité jusqu’à parler d’une façon presque sérieuse de leurs démons familiers, et jusqu’à se donner l’air d’y croire. Ainsi la moyenne des esprits restait grossière, et la sublimité des élus se montrait sauvage. On n’avait à compter dans chaque ordre qu’avec les initiés et les profès. J’ai dit que le XVIe siècle possédait tout mais c’était en bloc ; la science s’y faisait en gros, en grand, et ne s’y débitait pas. Il fallait pour cet échange mutuel entre tout le monde et quelques-uns et pour ce second travail de la dissémination des lumières la lente action de deux siècles, une langue à l’usage de tous, non plus latine, ni pédantesque, l’influence paisible et bienfaisante des chefs d’œuvre, un frottement prolongé de société, et la coopération gracieuse d’un sexe que les Saumaise de tout temps n’ont apprécié que trop peu ; en un mot il fallait, après Scaliger, que vinssent Mme de La Fayette et Voltaire. En 1624, le Père Garassus avait publié le livre de la Doctrine curieuse des Beaux-Esprits modernes, dans lequel il cherchait partout des libertins et des athées ; Naudé put en prendre