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Marfore) est son Instruction à la France sur la vérité de l’histoire des Frères de la Rose-croix, publiée en 1623. Vers cette année-là, en effet, « le roi étant à Fontainebleau, le royaume tranquille et Mansfeld[1] trop éloigné pour en avoir tous les jours des nouvelles, l’on manquoit de discours sur le change, » enfin les sujets de conversations par toutes les compagnies étaient épuisés, lorsqu’un mystificateur ou un fou s’avisa de remuer tout Paris par une affiche placardée aux coins de rue et qui annonçait la venue mystérieuse des frères Rose-croix pour tirer les hommes d’erreur de mort, et révéler le grand secret final. Ces Roses-croix se rattachaient sans doute à la société de frères que Bacon dit avoir existé à Paris, et dont il raconte une séance[2]. C’est cette mystification et cette fourberie des promesses de l’affiche que Naudé entreprend de réfuter et d’éclaircir. Après s’être raillé, au début, de l’éternelle badauderie des Français, il explique très bien comment cette chimère, cette crédulité contagieuse des Rose-croix a pu naître de l’enivrement d’invention qui suivit le XVIe siècle. Après tant de nouveautés que l’âge des derniers parens avait vues sortir, on arrivait aisément à se persuader qu’il n’y avait plus qu’une seule découverte et qu’une seule merveille qui en méritât le nom. La nature, jouant de son reste, ramassait toutes ses forces pour produire ce dernier bouquet d’illumination et d’artifice. À lire quelques-uns des argumens de Naudé, on croirait (sauf le style un peu différent) lire certaines boutades de Charles Nodier raillant les sectes novatrices de notre age, les saint-simoniens ou autres. Sous la plume des deux railleurs, l’exemple de Postel, de ses ineffables rêveries et de sa mère Jeanne, qui devait émanciper, racheter les femmes (car Jésus-Christ, disait Postel, n’avait racheté que les hommes), revient souvent comme limite extrême des folies savantes. Le Postel fut présent de bonne heure à Naudé pour lui prouver que tout se peut dire et croire, pour lui apprendre à se méfier de la sottise humaine, jusqu’en de grands esprits et au sein de la plus haute doctrine. À l’âge de vingt-trois ans, Naudé nous paraît déjà dans ce livre ce qu’il sera toute sa vie, revenu et guéri de l’ambition des nouveautés où il s’était fantasié d’abord, se rabattant au passé de préférence et aux opinions des anciens, visant à se réfugier, à pénétrer de plus en plus dans la vérité secrète et entre sages, sub rosa,

  1. Un des grands généraux de la guerre de Trente ans, qui guerroyait alors dans les Pays-Bas ou en Westphalie.
  2. Voir de Maistre, Examen de Bacon, t. I, p. 94.