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MORALISTES DE LA FRANCE.

même des fleurettes parfois à la Camus pour le joli des citations. Camus, Mlle Gournay, Garassus et Petau, ce sont ses vrais contemporains en style français (si français il y a). S’il appelle Montaigne le Sénèque de la France, il n’en profite guère que pour s’accorder les citations latines à son exemple. Il prise Charron plus qu’il ne l’imite en écrivant. En fait de poètes modernes, il les ignore. Il parle de la Pléiade comme étant venue depuis peu, et Du Bartas, le grand encyclopédique, paraît seul lui avoir été très-présent ; il le met dans son projet de Bibliothèque en tiers avec le Tasse et l’Arioste auprès d’Homère et de Virgile. Guillaume Colletet, ce rimeur né suranné, est son seul poète moderne contemporain.

Dans une lettre de Rome, Janus Erythreus, c’est-à-dire Rossi, parlant d’un dernier voyage qu’y fit Naudé, en 1645, pendant lequel le bibliothécaire infatigable achetait des livres à la toise pour le cardinal Mazarin et vidait tous les magasins de bouquinistes, nous le représente au sortir de ces coups de main tout poudreux lui-même de la tête aux pieds, tout rempli de toiles d’araignées à sa barbe, à ses cheveux, à ses habits, tellement que brosses ni époussettes semblaient n’y pouvoir suffire. Eh bien ! le style de Naudé, il faut d’abord s’y faire, est plein de toiles d’araignées comme sa personne.

Encore une fois, ce n’est pas une raison pour se détourner ; il vaut la peine qu’on l’accoste sous ce costume. Rien de moins scholar au fond et de moins pédant que lui ; il vérifie, aussi bien que Bayle, ce mot de Nicole, que le pédantisme est un vice, non de robe, mais d’esprit ; et, se rendant justice à lui-même au chapitre Ier de ses Coups d’État, il a pu dire : « Car il est vrai que j’ai cultivé les Muses sans les trop caresser, et me suis assez plu aux études sans trop m’y engager. J’ai passé par la philosophie scholastique sans devenir éristique, et par celle des plus vieux et modernes sans me partialiser :

Nullius addictus jurare in verba magistri.

« Sénèque m’a plus servi qu’Aristote ; Plutarque que Platon ; Juvénal et Horace qu’Homère et Virgile ; Montaigne et Charron que tous les précédens… Le pédantisme a bien pu gagner quelque chose, pendant sept ou huit ans que j’ai demeuré dans les colléges, sur mon corps et façons de faire extérieures, mais je me puis vanter assurément qu’il n’a rien empiété sur mon esprit. La nature, Dieu merci, ne lui a pas été marâtre. »

Son premier écrit français connu (je laisse de côté l’introuvable