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Ainsi mourut, dans la cinquante-huitième année de son âge, le ministre que son roi allait suivre de si près dans la tombe ; ainsi l’on vit à l’instant suprême le prêtre se dégager des ombres passagères pour embrasser la colonne éternelle qu’il parut si long-temps avoir oubliée. Richelieu, comme Napoléon, avait remué les choses de la terre sans rompre au fond de son cœur la chaîne qui les rattache au ciel. Qu’on lise avec quelque soin les volumineux écrits composés par lui ou sous sa direction immédiate, on y trouvera à chaque page une profession ardente des dogmes catholiques, et l’on sera frappé surtout du soin minutieux qu’il prend pour se défendre de toute pensée contraire aux intérêts même temporels de l’église. Ce n’est pas seulement le croyant qui se révèle dans les ouvrages de Richelieu, c’est le prêtre avec l’esprit de son corps, qu’il conserve dans toute sa vivacité lors même qu’il a perdu l’esprit de son état. Dans son plan de gouvernement, le cardinal prépare pour l’église une constitution indépendante ; il veut lui rendre la plénitude de sa juridiction usurpée par les parlemens, et cet homme qui a humilié les cours souveraines, anéanti les franchises des provinces et des cités, déshabitué la France de toute résistance à la couronne, aspire à relever de ses propres mains, dans toute la hauteur de sa liberté, la grande église dont il est le prince et le ministre[1] !

C’est en partie par ce motif que le XVIIIe siècle a trouvé bon de nier l’authenticité des écrits politiques du cardinal. Il n’a pas compris qu’on pût rester chrétien par l’esprit et par la foi, lorsqu’on l’était si peu par le cœur et par la charité. Rien de plus vrai pourtant, rien de plus commun dans le cours ordinaire des choses humaines. Les imputations portées contre les mœurs de Richelieu ne détruisent pas davantage ce fait incontestable. Les pamphlets et les satires d’une époque pleine de passion ne sont pas des preuves aux yeux de l’histoire, et, en remontant à la source des bruits populaires qui atteignent la vie privée du cardinal dans ses plus intimes affections domestiques, le doute est plus que permis à quiconque s’est livré à une investigation consciencieuse. Les faiblesses de Richelieu, fussent-elles constatées, ne seraient, d’ailleurs, qu’une triste contradiction de plus dans cet abîme de contradictions qui fait le fond de notre nature.

Ni la vie ni le caractère des hommes ne sont tout d’une pièce.

  1. Voyez surtout, dans le Testament politique, le chapitre II, de la Réformation de l’ordre ecclésiastique, etc., etc.