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LE CARDINAL DE RICHELIEU.

en cas que Dieu lui redonne la santé, s’il l’emploierait à son service avec plus de fidélité que jamais, il repartit : Qu’il m’envoie plutôt mille morts s’il sait que je doive consentir à un seul péché mortel ! Pressé par le même à demander à Dieu sa vie et sa santé : À Dieu ne plaise, dit-il, que je demande ni l’un ni l’autre, mais sa seule volonté ! Le curé pria ensuite son éminence de donner sa bénédiction à toute la célèbre compagnie. Hélas ! dit le cardinal, je n’en suis pas digne ; mais, puisque vous le commandez, je la recevrai de vous pour la leur donner, priant l’esprit de Jésus-Christ de leur donner celui de piété et de crainte.

« L’après-dîner, sur les quatre heures, le roi lui fit sa dernière visite, et au même temps le révérend père Mérard, jésuite, apporta les reliques à son éminence, laquelle pria qu’on laissât auprès d’elle ces sacrés dépôts. Il demanda ensuite au médecin s’il aurait encore long-temps à souffrir : non, disait-il, qu’il m’ennuye d’endurer, mais parce que je serai bien aise de demander à Dieu la grace de supporter mes tourmens jusqu’à la fin… L’agonie dura environ trois quarts d’heure, pendant laquelle le père Léon lui ayant demandé s’il voulait recevoir la dernière absolution, monseigneur répondit : Oui. Mais, ajouta ce religieux, la fluxion empêchant l’usage libre de votre parole, unissez votre cœur et vos affections aux sentimens de contrition et d’humilité lesquels je forme. Puis, pour signe à moi et à cette compagnie que vous êtes véritablement repentant de tous les péchés et infidélités de votre vie passée, serrez-moi la main… Ce que le malade fit fortement et à diverses reprises. Après l’absolution, le père Léon, prenant les reliques, lui fit prononcer plusieurs fois : Jésus Maria ! Puis, prenant une croix, il la présenta au mourant, il lui parla de la rédemption, et lui dit : Monsieur, serrez-moi encore la main pour témoigner que vous consentez à tous les mystères de la rédemption. Le cardinal respirant à peine, le père Léon sentit une faible pression. Cependant une sueur froide s’étant déclarée, et un hoquet sans force s’étant fait entendre, la séparation de l’ame eut lieu chez le cardinal[1]. »

  1. Récit véritable de ce qui s’est fait et passé à la mort de M. le cardinal de Richelieu. — Lettre à M. le marquis de Fontenay-Mareuil, ambassadeur à Rome, 7 décembre 1642. — Collection Fontanieu, t. CCCCLXXXV.

    La plupart des historiens de Richelieu, entre autres Levassor et Leclerc, ont emprunté aux Mémoires non suspects de Montrésor le récit des derniers momens du cardinal. Ces détails sont d’ailleurs trop authentiques pour avoir été contestés, même par ses plus fougueux ennemis.