Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/737

Cette page a été validée par deux contributeurs.
731
LE CARDINAL DE RICHELIEU.

Aussi le droit des gens tel qu’il a été formulé par les publicistes de cette époque laissait-il de grands problèmes sans solution, et le maintien de l’équilibre général n’a-t-il peut-être pas déterminé moins de collisions que l’établissement de ce système n’avait pour but d’en prévenir.

La double tentative essayée dans la première moitié du XVIIe siècle n’en fut pas moins un immense service rendu à l’humanité et l’indépendance des nations. Les publicistes hollandais, anglais, allemands et suédois, malgré l’opposition de leur point de départ et le désaccord de quelques décisions, contribuèrent à pénétrer leurs contemporains de la salutaire croyance qu’il existait un lien naturel de droit entre les peuples, et que l’antagonisme avait ses lois comme l’harmonie elle-même. D’un autre côté, la balance politique entrevue par Henri IV, préparée par Richelieu et consacrée par le traité de Westphalie, cette œuvre posthume du grand ministre, constitua l’Europe sur des bases régulières, quoique mal assurées. Ce balancement artificiel n’empêcha sans doute ni les conquêtes de Louis XIV, ni l’agrandissement de la Prusse, ni le partage de la Pologne ; mais il fournit à l’Europe des moyens de préserver sa liberté, et les intérêts matériels suppléèrent sans le remplacer au respect de tous les droits si tristement obscurci dans la conscience des peuples. L’équilibre général fut une pensée d’ordre et d’organisation qui, malgré son évidente insuffisance, arracha le monde politique au chaos créé par l’antagonisme des deux principes religieux et par l’extension de la puissance autrichienne. La France dut à ce principe des agrandissemens légitimes que l’intérêt universel justifiait autant que le sien. Ces agrandissemens mirent ce pays en mesure de balancer sous Louis XIII la formidable souveraineté qui dominait alors l’Europe. Le même principe donna, sous le règne suivant, aux puissances européennes, le moyen d’arrêter la France sur la pente rapide où la poussait l’ambition de son roi.

Si l’établissement de la balance politique fut une heureuse innovation, le cardinal de Richelieu peut en grande partie en revendiquer la gloire. Il fit tout en vue de ce résultat, et ne fit rien qui ne fût rigoureusement nécessaire pour l’atteindre. Sitôt que la soumission des religions lui eut donné la pleine disposition des forces de la monarchie, on le vit agir sous l’inspiration d’une invariable pensée, et dans un but que l’entraînement même du succès ne lui donna jamais la tentation de dépasser. Dès son avénement aux affaires, il mesura tout ce que la France était en droit de vouloir pour la sûreté de ses frontières et la solidité de ses alliances. Il poursuivit ce plan