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Louis IX avait triomphé de la coalition des grands vassaux, et Louis XI de la ligue des princes apanagés. Au dedans, Richelieu n’entreprit donc rien de nouveau ; il ne fut que le consommateur suprême du travail préparé par une longue suite de générations.

Il en était tout autrement pour l’Europe : celle-ci se trouvait, depuis l’ouverture du XVIe siècle et le commencement des guerres de religion, dans un état d’anarchie qui ne permettait pas plus de prévoir l’avenir que de faire appel aux traditions du passé. Pour asseoir un ordre nouveau sur tant de débris, il n’y avait ici ni vieilles traditions à suivre ni germe préexistant à développer. La reforme avait fait table rase de toutes les institutions de la chrétienté, en déniant les droits antérieurs et en armant tous les intérêts les uns contre les autres. Les deux moitiés du monde se livraient une guerre acharnée que les cupidités allumées par tant de spoliations menaçaient de rendre éternelle. L’empire germanique tombait en dissolution à l’époque même où, par une coïncidence singulière, la puissance impériale recevait en Allemagne des accroissemens démesurés. Au milieu de ces perturbations sans exemple, aucun lien ne subsistait plus entre les nations qui pendant tant de siècles s’étaient inspirées à la même source et avaient accepté la direction du même pouvoir modérateur. La chrétienté, constituée par ses conciles, dominée par l’ascendant moral de la papauté dans la plupart des grandes transactions internationales, avait vécu d’une vie commune dont la violente interruption la rejeta tout à coup dans un état aussi confus qu’aux jours les plus agités du moyen-âge.

Toutefois, durant la crise qui ébranlait alors le monde, deux idées parvinrent à se faire jour, et elles exercèrent sur les esprits une autorité salutaire. On s’efforça de suppléer à la communauté des croyances et à la fraternité disparue par la savante systématisation de précédens historiques, et l’on tenta de substituer à l’unité de l’Europe catholique un mécanisme destiné à contenir toutes les ambitions par l’exacte pondération de toutes les forces. Le droit de la nature et des gens devint une science en même temps que l’équilibre politique devenait le principal moyen de gouvernement. Cette science était sans doute contestable dans ses principes autant que ce moyen de gouvernement était incertain dans ses effets. L’une reposait sur des données qui tiraient moins leur autorité d’elles-mêmes que d’un consentement général fort difficile à constater ; l’autre attribuait à un mécanisme ingénieux la puissance d’arrêter l’essor naturel des intérêts et des passions au sein des sociétés humaines.