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LA VIE ET LES ÉCRITS DE VANINI.

pleinement le récit du président, et il y ajoute beaucoup. Par un heureux hasard, il est très court sur les points que Gramond nous fait connaître avec étendue, et il est très étendu sur ceux que Gramond effleure à peine. Il faut le dire, ce nouveau document est accablant contre les mœurs de Vanini ; il met encore plus en relief la duplicité de sa conduite ; il nous apprend bien des choses curieuses et importantes que Gramond avait tues : par exemple, que Vanini avait accès dans la maison du premier président, qu’il donnait des leçons à ses enfans, et qu’il en était très protégé ; que le conseiller chargé du rapport de cette affaire, et qui y fit l’office de procureur-général, était Guillaume de Catel, dont le zèle opiniâtre emporta la condamnation de Vanini. On y voit encore que ceux qui désiraient le sauver revendiquaient la juridiction de l’inquisition, parce qu’une condamnation de ce tribunal n’eût entraîné que des peines canoniques. Mais au lieu d’analyser cette pièce précieuse, il vaut mieux la donner ici tout entière.

Extrait des Mémoires manuscrites de Malenfant, 1617-1619.

« Cette année, eûmes à Toulouse le sieur Lucilio Vanini, de Taurezano, lieu du royaume de Naples, et l’ay beaucoup veu chez le P. P. Lemazurier[1], dont il dirigeoit les enfans. Jamais homme n’avoit en ces temps mieux parlé en langue latine, et quoiqu’à Tholose cette langue soit comme naturelle à tant ecclésiastiques, jurisconsultes, advocats qu’escoliers, au nombre de plus de six mille, si est-ce qu’on ne pouvoit lui comparer personne en ce genre d’éloquence, bien que le dict Vanini s’en servît en homme d’au-delà les monts, prononçant ou pour u. Et n’y avoit rien à dire en toute sa doctrine littéraire, mais y en avoit bien en autres choses, et si M. Lemazurier eust creu les rapports qu’on luy faisoit souvent des desportemens et mœurs du dict Lucilio, l’auroit incontinent fait vuider de son hostel et de la ville. Car il estoit par trop notoire que le dict estoit enclin, voire entièrement empunaysi du vilain péché de Gomorrhe ; et fut arresté deux fois diverses le commettant, l’une sur le rempart de Saint-Estienne, près la porte, avec un jeune escolier angevin, et une autre, en une certaine maison de la rue des Blanchers, avec un beau fils de Lectoure en Gascogne ; et conduit devant les magistrats, répondit en riant qu’il étoit philosophe, et par suite enclin à commettre le péché de philosophie. Procès-verbaux furent dressés, et sont ès-archives[2] mais de ce ne fut rien poursuivy, parce qu’on savoit la grande estime qu’avoit

  1. Notre copie porte ici Le Mazurier ; une autre pièce plus décisive, citée plus bas, dit Le Mazuyer.
  2. Je les ai fait chercher en vain.